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Médias pure players, ces oubliés
Les médias pure players sont les grands oubliés de l’aide à la presse en Belgique francophone. Pourquoi cet « oubli » ? Et, d’abord, faut-il les aider ?
« La défense d’une information riche, libre, plurielle passe par la défense des médias pure players, 100% numériques, d’autant plus qu’ils sont souvent créés et portés par des journalistes professionnels, armés d’une longue expérience, observe Brigitte Doucet, présidente de l’ABiPP (Association of Belgian independent Pure Players). Or, contrairement à la presse traditionnelle, ces médias indépendants ne sont pas aidés. Pourquoi ? »
Une « aide à la presse » est-elle encore pertinente ? La question fut au cœur de la conférence annuelle de l’ABiPP (Association of Belgian independent Pure Players). Vendredi 28 octobre, une table ronde a permis d’en débattre avec des représentants de l’AJP (Association belge des Journalistes Professionnels), du cabinet de Bénédicte Linard, en charge des médias en Fédération Wallonie-Bruxelles, du SPIIL (Syndicat français de la Presse Indépendante d’Information en Ligne), de l’ALJP (Association Luxembourgeoise des Journalistes Professionnels), du service des Médias de l’Office fédéral suisse des Communications et avec l’un des co-fondateurs d’un média pure player suisse.
Medias pure players, la diversité
« L’information est un bien commun. Il y a, dès lors, une responsabilité de l’Etat de s’assurer que cette information soit pluraliste, indépendante, équitable ». L’argument avait été avancé en février dernier par le FPL (Fonds français pour une Presse Libre). En irait-il différemment en Belgique ? « Il n’est pas normal que l’aide ne soit attribuée qu’à la presse dite ‘traditionnelle’, alors que les journalistes de la presse numérique exercent exactement le même métier à destination du grand public », regrette Brigitte Doucet. Voilà pourquoi certains pays ont organisé une aide à la presse numérique. Si les conditions diverses, elles peuvent toutefois inspirer nos décideurs politiques…
Face à la montée en puissance des GAFAM, de leurs homologues venus d’Asie, des réseaux sociaux, des puissances de la désinformation, face aussi à la concentration des médias, des mesures ou des propositions se font jour dans différents pays. On retrouve immanquablement au coeur de ces initiatives et réflexions l’argument de la diversité et du pluralisme de la presse pour une information crédible, fiable, indépendante et intègre.
Ainsi, le gouvernement luxembourgeois évoquait-il cet argument pour justifier la décision prise, en 2021, d’élargir aux « nouveaux pure players » l’aide que l’Etat octroyait déjà, même de manière inégale, aux médias papier et à leur désinence numérique : « la presse en ligne joue un rôle enrichissant pour le pluralisme des médias ». Et de mettre en place un mécanisme transitoire de soutien au développement de la presse en ligne. Celui-ci vise à soutenir les éditeurs qui adoptent des critères de qualité, professionnalisme et régularité de parution.
Une nouvelle réalité
Les chiffres et les multiples études réalisées à ce jour en témoignent. Les lecteurs s’informent de plus en plus et, pour certains -toujours plus nombreux- quasi exclusivement via des médias numériques. Aujourd’hui, note le SPIIL, près de 60% des Français lisent des articles issus de quotidiens ou de magazines sur leur smartphone. Voici cinq ans, ils n’étaient que 47% !
« Ne pas soutenir les médias pure player équivaut à défavoriser des pans entiers de la société, poursuit Brigitte Doucet. C’est se priver d’une manière de garder le lien ou de ramener vers un espace d’informations, vérifiées et examinées professionnellement, tout un pan de lectorat qui, pour des raisons diverses, s’en est éloigné. » De manière plus fondamentale, c’est la richesse, l’accessibilité, la fiabilité de l’information qui sont en jeu pour l’ensemble de la population.
La véritable question concerne la dynamique dans laquelle nous sommes entrés avec toutes les plateformes technologiques qui gèrent et redistribuent les contenus, estime pour sa part Johan Rochel, chercheur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne et à l’université de Zürich. « Quel type de contenu est mis en avant ? Qui détermine ce que chacun d’entre nous voit passer sur son compte Facebook ? Qui commande notre accès à l’information ? Nous sommes face à un bouleversement très profond. Et celui-ci dépasse la question des rentrées publicitaires pour un secteur économique qui ne doit pas être traité comme les autres. Des médias divers et de qualité sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie ; ils ont une importance particulière pour la société. C’est pour la même raison que leur soutien financier par les pouvoirs publics est sensible. »
Aider, mais jusqu’où ?
La presse dans son ensemble, en ce compris les médias de presse purement numériques, doit pour partie assurer sa pérennité par ses propres moyens. Le but n’est nullement de conditionner exclusivement l’existence et la viabilité des médias de presse à une aide publique, stipule l’ABiPP. Mais celle-ci doit faire partie du panel de moyens d’existence.
« Il est dès lors nécessaire de rétablir une équité de traitement, non seulement en raison de l’inégalité fondamentale qui est aujourd’hui cultivée en aidant uniquement la presse ‘traditionnelle’, mais aussi parce que défavoriser cette presse ‘nouvelle’ va à l’encontre d’une tendance bien établie et qui ne cesse de prendre de l’ampleur : la prédominance de l’information numérique ! »
Deux types d’aides
Pour Brigitte Doucet, une aide structurelle, récurrente (tout en étant soumise à réévaluation annuelle), est nécessaire pour permettre à ces médias de naître et de se pérenniser. Et ce, au même titre et sans discrimination par rapport à que ce qui est octroyé à la presse papier ayant une déclinaison numérique.
Dans son mémorandum, l’ABiPP envisage deux types d’aides. La première, une aide à l’amorçage, pour les projets de moins de trois ans, le but étant de conférer au support débutant une partie des moyens financiers dont il a besoin pour se lancer dans des conditions acceptables. La deuxième est une aide annuelle récurrente au long cours pour les projets de plus de trois ans. Celle-ci serait sujette à réévaluation annuelle ou bisannuelle pour vérification -par l’autorité publique ou une commission mixte d’agrégation (l’ABiPP pouvant faire office de conseiller)- du bon respect des critères d’obtention. Elle couvrirait une partie des besoins financiers en termes de production de contenus journalistiques et de pérennisation du média.
Si l’ABiPP a été entendue au cabinet Linard, le dossier n’avance que lentement. Les priorités sont ailleurs : le renouvellement du contrat de gestion de la RTBF et le renouvellement du décret d’aide à la presse… traditionnelle.