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Twitter, faut-il… ou peut-on le quitter ?
Faut-il quitter Twitter ? La question rebondit depuis sa reprise par Elon Musk. Elle interpelle autant les politiques que les journalistes. Mercredi 11 janvier à 16:00, les professionnels et observateurs des médias en débattront à la Maison de la Francité, à Bruxelles.
« Je ne vais pas quitter Twitter, c’est Musk qui doit partir », écrivait récemment la journaliste Guillemette Faure dans Le Monde. Tout est dit ou presque. Le rachat de Twitter par Elon Musk relance -une fois de plus- la question de la présence sur le réseau social. De là, la conférence-débat de l’ABiPP (Association of Belgian independent Pure Players (press)) sur le thème : « Les journalistes doivent-ils/-elles quitter Twitter ? » introduite et animée par Xavier Degraux, consultant en réseaux sociaux.
La question anime autant les politiques que les journalistes. Voici peu, les hashtags #TwitterDown et #RIPTwitter se sont multipliés. Certains utilisateurs en ont profité pour partager leurs comptes Mastodon, Instagram ou encore LinkedIn. Il y aurait comme une ambiance de fin de règne dans l’air, ce qui entraîne une succession de discussions autour du sujet. Beaucoup se demandent quelles parties de leur identité en ligne, de leurs proches et de leurs célébrités préférées doivent être conservées dans le cas où Twitter disparaîtrait. Certains suggèrent ainsi de sauvegarder ses tweets pour les sauver… De fait, si 14 ans de contenu disparaissent du jour au lendemain, qu’est-ce qui devrait survivre ?
Twitter a radicalement modifié le travail des journalistes
Journalistes, acteurs et autres observateurs du monde des médias se doivent d’en évaluer l’impact, les implications, multiples et essentielles : la presse et les journalistes -pour des raisons de visibilité, de crédibilité, voire de déontologie- ont-ils encore leur place sur Twitter ? Quels sont les enjeux, les risques, les implications ? Que faire ? Et, de manière plus large, si on « snobe » Twitter, quel autre réseau privilégier ?
De toute évidence, depuis 2008, Twitter a radicalement modifié le travail des journalistes. Côté positif, l’accès à une multitude de sources et d’informations ; côté négatif, une vision parfois déformée de la réalité et le risque de s’enfermer dans une bulle. Nombreux sont ceux qui auraient du mal à quitter Twitter, les twittos représentant une part importante de leur travail.
L’un des changements introduits par Twitter a été de faciliter le contact direct des journalistes avec des sources d’information, experts comme politiques. Twitter a été le nouveau Rolodex, antique carnet d’adresses rotatif très XXe siècle. Autre révolution, les médias ont cessé d’être systématiquement les premiers à révéler un événement au public, en étant souvent devancés par les twittos témoins d’une actualité soudaine (accident, attentat…). Pour les observateurs des médias, cela a considérablement fait évoluer le rôle des journalistes, désormais davantage lié au fait de contextualiser et vérifier des informations… issues de Twitter. De même, institutions, politiques ou célébrités communiquent fréquemment via Twitter. Y faire de la veille est devenu incontournable.
Twitter, ce jeu vidéo de la colère
Sur un plan plus personnel, Twitter a permis à certains journalistes de s’y construire l’équivalent d’une marque à part entière, au-delà de celle de leur employeur. Pour autant, « Twitter détruit le journalisme », clamait -en 2019 déjà !- l’éditorialiste du New York Times Farhad Manjoo dans une tribune qui fit sensation. A l’entendre, son mode de fonctionnement encourage polémiques et indignations instantanées, sans prise de recul. Ce qui fait dire aujourd’hui à Antoine Bayet, directeur éditorial de l’INA, l’Institut National (français) de l’Audiovisuel, que son usage est « profondément ambivalent ». La question, finalement, n’est pas forcément celle de l’outil, mais de la distance qu’on réussit à mettre ou pas avec lui.
C’est vrai pour tous les canaux digitaux, mais pour Twitter en particulier. La notion même de réseau social change essentiellement sous l’action de communautés militantes, devenant lieu de haine, lieu de violence, où quelques milliers d’internautes peuvent littéralement pourrir la vie d’un individu s’ils le décident de concert. C’est vrai pour les politiques, c’est vrai également pour les journalistes.
Dans ce sens, Twitter est devenu un jeu vidéo de la colère, voire un énorme et inutile gaspillage de temps et d’énergie mentale. Au centre de l’actualité, les journalistes peuvent en faire les frais. Et dans ce jeu de massacre, ils sont en bonne place. En même temps, ils sont quasi obligés d’avoir un compte. Et le plus souvent avec leur nom et leur photo. C’est un fait : un journaliste qui n’a pas de compte a moins de chance de trouver un travail qu’un journaliste qui a plusieurs milliers d’abonnés sur le même réseau. Les journalistes sont des leviers d’audience comme les autres !
S’éloigner des réseaux sociaux ? Vraiment ?
Faut-il pour autant entretenir la culture du bon mot, du clash, tant pis et tant mieux s’il fait mal ? En ce sens, Twitter est l’antithèse du journalisme : les moqueries l’emportent sur le débat raisonné. Cette remarque vaut aussi pour les utilisateurs de Twitter qui ne sont pas journalistes, tantôt bourreau et victime dans un réseau social devenu ring de boxe. En 2018, déjà, le Washington Post qualifiait Twitter de « drogue pour les rédactions ». Ce qui est frappant, lorsqu’on étudie Twitter, c’est de constater son potentiel de nuisance alors qu’il s’agit d’un « petit » réseau social à côté de Facebook.
Quid demain ? La conférence-débat du 11 janvier sera des plus intéressantes. Les questions qui nous sont posées nous concernent toutes et tous. Quitter pour de bon Twitter ? S’éloigner, plus généralement, des réseaux sociaux ? Rien n’est moins sûr. Selon Mathew Ingram, spécialiste des médias numériques à la revue américaine Columbia Journalism Review, les journalistes sont pris au piège : « quitter Twitter suppose revenir à des façons plus traditionnelles de chercher et rapporter l’information et trouver d’autres manières d’interagir avec les lecteurs. » Ce serait là un défi, un défi de plus à l’ère numérique. Aussi on ne s’étonnera pas de voir nombre d’acteurs des médias mettre bruyamment en scène leur mécontentement et de brandir la menace d’une désertion… sans toutefois passer à l’acte !
Alain de Fooz