Le droit à la vie privée fait partie de nos droits fondamentaux, nous devrions les défendre davantage
Une dizaine de textes repris de chroniques. Tous ramènent à une question : « Notre vie privée existe-t-elle encore ? » Un sujet de prédilection pour le professeur Jacques Folon.
La vie privée se meurt chaque jour un peu plus. En cause, le plus souvent, notre inaction, notre ignorance. Mais aussi notre laisser faire. « Nos gouvernements ne sont pas en reste; certains ont été condamnés pour avoir voulu compiler trop de données ou ne pas avoir voulu tenir compte des conseils de autorités de protection des données », explique Jacques Folon, grand spécialiste de la protection des données dans « Avons-nous encore une vie privée ? » (Editions Corporate Copyright).
Si on accuse, non sans raison, les GAFAM, comment, aussi, ne pas voir de nos gouvernants un manque d’intérêt, pour ne pas dire plus, pour la vie privée, interroge le professeur. Or, rappelle-t-il, « la vie privée fait partie de nos droits fondamentaux ; il est nécessaire de les défendre »
Notre premier ennemi… nous-même !
L’individu peut-il sauver sa singularité du carcan public, numérique, professionnel ? La vie privée peut-elle être maintenue comme le privilège de l’individu par opposition à la loi générale du collectif ? Ou doit-elle devenir une privation des bienfaits d’une société dont il faudrait se séparer pour se prémunir ?
Pas de réponse tranchée. Le livre « Avons-nous encore une vie privée ? » -sous forme d’une compilation d’articles parus dans Le Soir- ouvre plusieurs pistes, explorant avec justesse les multiples facettes de la vie privée, entre les défis de l’intimité à l’ère numérique, les interactions familiales et les choix personnels qui définissent nos existences.
On dénonce l’utilisation que font les géants du numérique de nos données privées. Mais ils sont loin d’en être les premiers ennemis. « Notre premier ennemi, c’est nous-même ! » Par les réseaux sociaux, les services que nous utilisons pour nos courses, les applis qui calculent nos efforts, nos relations avec les « assistants personnels intelligents », nous sommes les premiers à partager tout ce qui nous arrive.
Un choix par défaut
C’est que le numérique est addictif, avec ses dispositifs de gratification aléatoire, l’impression de peser sur le cours du monde, son rôle de miroir narcissique et de défouloir affectif, mais il constitue une nouvelle forme de socialité qui fonctionne par l’interconnexion de tout et de tous. Le partage généralisé n’est plus un choix individuel mais, pour reprendre un vocabulaire de « conditions d’utilisation », un choix « par défaut » qui, sous prétexte d’être fait pour nous, est surtout fait à notre place.
Nous en échapper, le pourrions-nous ? Poser la question c’est y répondre. Le danger est partout. Dans son premier chapitre, Jacques Folon rappelle que l’ADP a récemment condamné un laboratoire pharmaceutique belge pour le traitement de données médicales de ses patients. Nos données de santé seraient en accès un peu trop libre… Toujours au chapitre santé, rappelons le cas de Bruvax lancé au moment de la pandémie. Cette base de donnée permettait à tous les employeurs de connaitre le statut vaccinal de chacun de leurs employés…
Si la politique de la vie privée est un droit fondamental, le politique n’en fait pas grand cas. Les récentes campagnes politiques ont démontré une utilisation des données personnelles allant bien au-delà de ce qui est autorisé, rappelle Jacques Folon. C’est vrai dans tous les Etats. L’exemple le plus frappant fut l’usage des caméras de surveillance algorithmique du gouvernement français lors des Jeux olympiques. « Considérant le bilan comme positif, la prolongation de leur utilisation est envisagée, alors que la réglementation européenne les considère comme à haut risque. »
Vie privée… sentiment de résignation
Le livre est divisé en dix thématiques, toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Et si l’auteur conclut par un « restons vigilants », force est de constater que nous sommes relativement mal informés sur la façon dont les données sont recueillies. On voit que les entreprises cultivent le sentiment de résignation et exploitent ce manque de connaissance pour normaliser la pratique consistant à maximiser la quantité de données recueillies. Ainsi, les constructeurs automobiles, réunis actuellement au Brussels Motor Show, sont devenus des experts ; le commerce d’informations fait aujourd’hui partie intégrante du business model.
Personne ne s’en offusque. La routinisation des polémiques liées aux scandales aurait comme conséquence une acceptation résignée de la situation.
Remise en question
De là, l’intérêt de ce livre. Une prise de conscience, en somme. Avec l’avènement de l’IA, je pense, personnellement, qu’une remise en question de la gouvernance de nos données s’impose.
Comment, en effet, pouvons-nous garantir que les systèmes d’IA sont conçus, développés et déployés de manière à respecter les droits et les intérêts des individus et de la société ? Comment pouvons-nous prévenir ou limiter les préjudices et les biais potentiels pouvant résulter de l’utilisation des systèmes d’IA ? Comment renforcer la confiance et la responsabilité dans l’utilisation des systèmes d’IA ?
Nous ne sommes qu’à l’aube d’une révolution.
Alain de Fooz