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Connect 2023, bouger les lignes
Shake IT ! Connect, sixième édition. Salle comble, le 9 novembre dernier. Cinq orateurs, une même question : comment faire bouger les lignes ?
« Je connais un millionième de la médecine. Demain, ce sera un milliardième. Pourquoi, dès lors, lutter contre l’IA ? Une infirmière aidée de ChatGPT peut aujourd’hui établir un meilleur diagnostic que moi ! C’est dur d’encaisser ça, j’ai tant étudié. Mais c’est la réalité ! » Et Laurent Alexandre de rejoindre le point de vue du magazine Foreign Policy qui résume la question par un « c’est l’IA qui va gagner la course à l’IA. C’est l’IA, aujourd’hui, qui fait bouger les lignes ». Et nous ?
Pour le chirurgien et essayiste, le futur qu’on imaginait pour 2040 ou 2050, c’est… maintenant ! De là, mille questions. Quels scénarios l’Humanité devra-t-elle choisir ? Faut-il accepter le vertige transhumaniste qui nous « upgrade » biologiquement mais nous maintient Homme ? Fusionner avec l’IA en devenant des cyborgs ? Interdire ou limiter puissamment l’IA ? C’était le 9 novembre dernier à La Sucrerie à Wavre. Salle comble pour écouter les orateurs de Connect 2023.
Accélérer le ralentissement
Shake IT ! Telle était l’ambition des organisateurs de l’événement. « Connect est d’abord un lieu d’échange, de partage entre pairs et non un événement à vocation purement commerciale, commente Dimitri Verscoore, Marketing Director, Win. C’est une différence majeure. Cette année, en effet, nous avons eu l’ambition de faire bouger les lignes, de bousculer. Avec des thématiques telles que l’IA ou l’ESG, voire la place des femmes dans l’évolution de la technologie, nous comptions permettre à nos visiteurs de voir plus grand. » Done !
Premier orateur à se présenter devant le public, Olivier Vergeynst, Directeur de l’Institut Belge du Numérique Responsable. « Et si nous accélérions le ralentissement, suggère-t-il. Et si nous passions d’une économie linéaire qui produit en masse avec l’utopie d’avoir des ressources illimitées, à une économie circulaire qui produit en réponse à un besoin, qui met en commun les produits et les services et priorise le durable, le réparable, le sobre. »
Le réalisme l’emporte
Est-ce là ralentir réellement ou accélérer autrement ? L’expression « faire bouger les lignes » questionne. Globalement, elle peut autant traduire un bel élan positif pour aller de l’avant, sans qu’on sache de quelles lignes, au juste, il s’agit -lignes directrices, lignes budgétaires, lignes de production- que pour revenir en arrière ou filer sur le côté.
Le numérique responsable s’impose. « Compétitivité et réduction de l’empreinte environnementale peuvent aller de pair, insiste Olivier Vergeynst. Le numérique responsable est désormais perçu comme apporteur de solutions auprès des différents métiers pour répondre, plus proactivement, à leurs enjeux de réduction de gaz à effet de serre. Les lignes ont bougé ! » Et le réalisme l’emporte. Certes, le numérique est polluant ; en revanche il permet de monitorer les impacts d’une industrie pour améliorer sa consommation, son utilisation et sa pollution.
Un biais de genre non sans danger
Originaire du champ politique où elle signifie « faire évoluer son corpus idéologique pour aller vers celui du camp opposé », l’expression « faire bouger les lignes » plaît en entreprise pour son côté guerrier rappelant les lignes de front de deux armées qui se font face. En même temps, elle présente l’avantage d’être beaucoup moins effrayante et radicale -et donc plus acceptable- que « bouleverser » ou « faire table rase du passé ».
Dans la tech, il nous faudra encore chasser bien des préjugés. Pourquoi, en particulier, le monde du numérique reste-t-il l’affaire de la gent masculine aussi bien dans les représentations que dans la réalité, questionne Valérie Tanghe, ingénieure, Managing Director, Accenture Belgium. Un biais de genre non sans danger. « Les datas ne sont ni abstraites, ni neutres. Elles sont le reflet direct non seulement de la société dans laquelle nous vivons, mais aussi des biais partiellement arbitraires de ceux qui les rassemblent et les organisent… » Tout est dit.
Ce n’est pas par hasard qu’une IA à qui l’on demande de représenter une personne exerçant la chirurgie peut proposer l’une après l’autre des dizaines d’images de chirurgien, sans y faire apparaître la moindre femme. Ce n’est pas par erreur, non plus, que la requête d’une image de CEO aboutit presque systématiquement à la reconstitution d’un visage masculin, de type caucasien, autour de la cinquantaine…
Rupture ou pas ?
Comment changer les choses, comment sortir du cadre traditionnel ? L’expression « faire bouger les lignes » propose donc d’opérer une rupture par rapport à une situation existante. « Les lignes sont les choses en place, les pratiques habituelles, les esprits figés, les process compliqués », nous dit Bernard Geubelle, Directeur Adjoint, Mutualités Libres. Plus question de s’en satisfaire, le changement s’impose. Et partout. « Aujourd’hui, le défi est double pour les Mutualités : comment à la fois se transformer dans un environnement concurrentiel tout en conciliant légal, social et performance, synthétise Bernard Geubelle.
Les Mutualités Libres ont choisi un nouveau chemin : s’allier sur le plan technologique tout en restant concurrents sur le plan commercial. L’idée ? Co-créer, partager entre les diverses parties prenantes. Ce dialogue permet d’échanger les avis des différentes clientèles. Ce qui veut dire, encore : compréhension, conception et adoption des pratiques agiles.
Avancer le curseur
La rupture n’est toutefois pas toujours nécessaire, estime Arnaud Stiévenart. Le co-fondateur de l’entreprise montoise I-care insiste sur les notions de continuité et de détermination. En près de vingt ans, ce spécialiste de la maintenance industrielle prédictive est resté fidèle au principe : « If you can’t measure it, you can’t manage it ! » de Lord Kelvin (1824 – 1907). Soit, pour I-care, collecter, mesurer, analyser et gérer. « Aujourd’hui, nous suivons plus de 300.000 équipements à travers le monde », résume Arnaud Stiévenart.
Sans bouger les lignes ? En avançant le curseur de la technologie -notamment le recours de l’IA. « Aujourd’hui, I-care c’est 99 % d’IA et 1 % d’humain pour prédire l’imprévisible ! » En avançant, aussi, le curseur du business model. Forte de son expertise, de sa technologie et de sa stratégie de croissance, l’entreprise ambitionne de dépasser les 100 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2025. « On collectera, connectera, gérera et analysera toujours plus de données tout en faisant évoluer notre business model vers celui d’une data driven company ! »
Alain de Fooz