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De la gestion de risques à l’incertitude

Sep 2, 2020 | Workplace | 0 commentaires

La pandémie COVID-19 nous renvoie à la notion d’incertitude qu’il nous faut apprendre à gérer différemment des risques, estime Vincent Liévin (*)

«Cette pandémie de COVID-19 ne relève pas d’une gestion de risques. Il s’agit d’une incertitude. Et c’est là toute la difficulté, estime le journaliste Vincent Liévin. Car si, dans leur majorité, les entreprises sont aptes à gérer des risques, elles se montrent souvent fort dépourvues face aux incertitudes.»

La difficulté de la gestion de cette crise résulte de la complexité de positionner le curseur au bon endroit aussi bien pour l’anticipation que pour la gestion. Doit-on prendre des mesures drastiques avec une probabilité de voir que le risque ne s’est pas matérialisé ? Ou, au contraire, laisser faire… et agir probablement trop tard ? Ces questions -et d’autres- seront débattues jeudi 10 septembre à Liège dans le cadre des Rencontres Stratégiques du Manager organisées par BSPK.

Une incertitude n’est donc pas un risque. Dans son livre «Risk, Uncertainty and Profit» paru en 1921, Frank Knight définit le risque comme une situation où les possibilités dans l’avenir sont connues et probabilisables. Par opposition, l’incertitude désigne une situation où l’on ignore tout cela. En d’autres termes, le risque est un cas probable dont on connait pas la probabilité d’apparition de ce cas. Dans l’incertitude, nous ne connaissons pas le cas, sans même parler de la probabilité de son apparition.

Gérer l’imprévu

Certains objecteront que cette pandémie ne s’inscrit pas dans ce que Frank Knight a théorisé comme l’incertitude. Pour l’OMS, en effet, son apparition était probable. Pour Vincent Liévin, la crise actuelle, au-delà de montrer l’impréparation à y faire face, est un exemple de gestion de l’imprévu. Car contrairement à la grippe, qui est un phénomène saisonnier et maîtrisé, la pandémie actuelle n’a pas été anticipée. Et c’est bien tout le problème.

Pas d’applaudissements, pas de hashtag ou autre mobilisation. Vincent Liévin a préféré rencontrer une quarantaine d’acteurs en première ligne. Dans son livre « Les Héros du Coronavirus » (éditions Kennes), il rend un vibrant hommage à cet élan de solidarité que l’on a vu émerger partout dans le monde.

«La question intéresse tous les managers. Autant les risques sont repris dans les plans de continuité d’activité, autant la situation de rupture que nous traversons n’a pas été intégrée. La situation est inédite, poursuit Vincent Liévin. Et elle nous impacte tous, à tous niveaux. La rupture ou la révolution de nos modes de fonctionnement deviendront, sans doute, la norme. Il suffit de voir la place du télétravail et du e-learning.  tout comme la mise en place d’une continuité d’activité partielle.»

Le propre de la gestion des risques est de mieux préparer face aux incertitudes, défend Vincent Liévin. La plupart des entreprises et des états n’avaient pas imaginé avoir à développer des stratégies de réponse pour un événement de cette ampleur. Qui plus est, un événement qui s’installe, sans doute, dans la durée.

Plus loin que la résilience

De fait, il ne s’agit pas d’une catastrophe naturelle ou d’origine humaine. L’événement que nous vivons n’est pas la conséquence d’une défaillance sur le plan technologique ou opérationnel. C’est une pandémie, dont on ignore le risque de propagation, la gravité et la durée. Pour les organisations, cela signifie élaborer des stratégies qui vont bien au-delà des plans de résilience conventionnels.

Avec cette pandémie, les organisations ont dû apprendre à se doter des capacités requises pour communiquer avec leurs employés. A offrir, par exemple, des modalités de télétravail. A autoriser des congés personnels et pour obligations familiales. Ceci pour réduire au minimum la disruption des activités.

Et contrairement à la disruption des activités causée par des catastrophes naturelles, comme un tremblement de terre ou un tsunami qui touchent une région, il s’agit ici d’un phénomène planétaire aux multiples conséquences.

De la Chine à la Belgique

L’une de ses conséquences est purement économique. Lorsque la Chine est touchée, ce sont les chaines d’approvisionnement du monde entier qui le sont ! Songeons à la position de la ville de Wuhan, très importante pour bon nombre de chaînes d’approvisionnement mondiales. Plus de 200 des sociétés du palmarès Fortune Global 500 sont directement présentes dans la ville de Wuhan. «Et même si vous n’avez pas de fournisseurs directs dans les régions touchées de la Chine, vous n’êtes pas pour autant à l’abri des perturbations, commente Vincent Liévin. Le séisme est global. Nos failles sont d’autant plus visibles...» Notre pays, largement reconnu pour sa logistique, ne produit plus de médicaments. A quoi bon, dans ces conditions, disposer des meilleurs circuits de distribution ?

«De la même façon que les risques sont gérés, l’incertitude doit l’être aussi. Et donc budgétée. Prévoir, par exemple, 1% du revenu de chaque année -montant à modérer évidemment en fonction de la taille de l’entreprise, de ses capacités financières et de sa volonté à s’engager dans cette voie. Des économistes et des financiers pourraient, évidemment, affiner cette réflexion», avance l’auteur du livre «Les héros du Coronavirus». Si la gestion des risques en mode gestion de projet et la gestion des risques en mode gestion d’incertitude sont deux univers différents, il y a un lien entre les deux. C’est l’importance d’identifier les ‘risques improbables, mais à fort impact sur le projet’. C’est avec ce type de risques que les gestionnaires doivent travailler. Ils doivent bien évaluer l’enveloppe budgétaire de contingence et les actions de mitigation si jamais un nouvel événement majeur se manifeste.

Tenir compte des peurs, de la santé

Dans cette approche, le plan de continuité est d’une nature très différente du plan de gestion des incertitudes. On y inscrit le scénario de crise et ses variations de pourcentage d’impact allant de faible possibilité d’occurrence à forte possibilité. Dans cette crise, on l’a vécu depuis l’uppercut de la mi-mars, les réponses aux problèmes rencontrés sont inconnues de l’équipe décisionnelle. La mitigation est difficile à planifier.

De même, la question de la santé n’est que trop rarement abordée. En décembre 2019, au cours d’une précédente Rencontre, BSKP avait alerté les managers sur le sujet. Quid en cas de maladie, en cas d’incapacité de travail d’un dirigeant ? Trop souvent, il n’y a pas de plan B. Cette fois, le risque est infiniment plus grand. Et tout montre qu’il n’est pas pris en compte, s’inquiète Vincent Liévin. On voit aussi que le refus de reprendre le travail est une réalité. Cette crise aura un coût social énorme. Notamment en termes de santé mentale…

Des opportunités, aussi…

En revanche, si elle est bien gérée, l’incertitude peut aussi générer des bénéfices. Elle peut être une parenthèse ou le signe annonciateur d’un renouveau. «Cette période de confinement a éveillé les consciences et amené nombre d’entreprises à éprouver leurs pratiques managériales et à en expérimenter de nouvelles. A faire preuve, aussi, de plus d’agilité et de créativité. Je pense ici à Any-Shape. Cette entreprise de Flémalle, connue dans le secteur aérospatial, s’est lancée dans la production d’écouvillons, ces petits ustensiles pour le prélèvement d’échantillons dans la gorge et le nez. Et de reconcevoir la production en impression 3D. De même, le CHU de Liège s’est lancé dans la production de solutions de prélèvement naso et oropharyngé de dépistage…»

Accepter l’imprévisible, c’est s’ouvrir des opportunités, conclut Vincent Liévin. Cette crise sanitaire du coronavirus et le confinement qu’elle nous impose peuvent être vus comme une opportunité pour repenser notre vie et nos valeurs -individuellement et collectivement.

Propos recueillis par Alain de Fooz

 

(*) Vincent Liévin est journaliste. Il vient de signer «Les héros du Coronavirus», (éditions Kennes), une quarantaine de portraits -des professionnels de la santé, des entrepreneurs, mais aussi des pompiers, des ambulanciers et des bénévoles- qui ont répondu, dans un même élan, à la crise sanitaire. Il présentera sa vision de cette crise inédite et des pistes de gestion de risques le 10 septembre à Liège lors des Rencontres Stratégiques du Manager organisées par BSPK. Informations complémentaires et inscriptions : www.bspk.biz

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