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L’Humain ! L’avait-on oublié ?
Connect, l’événement conjoint de Win et du Cercle numérique, s’est rassemblé autour d’une idée forte : l’importance de l’Humain. Un «retour» instructif sur bien des plans.
Priorité à l’Humain. Chez Odoo, la technologie vient après. Vraiment après. La simplicité s’impose dès l’étape du recrutement. Ici, pas de rendez-vous à répétition : un entretien téléphonique ou un test technique, une conversation en face à face, et le processus est bouclé. Le futur collaborateur ne doit même plus se déplacer pour signer son contrat : il peut le faire à distance grâce à une solution numérique. La transparence est de mise : avant de postuler, le candidat accède via le web à toute une série d’informations, y compris le niveau de salaire auquel il peut s’attendre.
En même temps, Fabien Pinkaers, fondateur d’Odoo, reconnait que sa société ne serait pas aujourd’hui une Licorne -la première en Wallonie- sans la technologie, sans la digitalisation. « Chacun de nos 1.800 collaborateurs dispose dès son arrivée de tous les outils qui lui seront nécessaires pour travailler et avancer dans l’organisation… Donnez leur les meilleurs outils, vos collaborateurs donneront tout de suite le maximum ! »
La « machine à excuses »
Nous voici confrontés à une gigantesque expérience de télétravail, de fragmentation du temps de travail et à des carrières moins linéaires. A chacun de trouver sa place au sein de l’entreprise. Il est courant d’entendre que l’Humain va s’effacer devant la technologie. Au cours de .Connect, l’événement conjoint de Win et du Cercle numérique, qui s’est tenu à Wavre le 28 octobre, cinq acteurs du monde digital ont démontré le contraire… sans s’être concertés !
L’Humain, pour le meilleur ou pour le pire. Fabien Pinkaers le voit dans les entreprises et organisations qu’il visite. Et d’évoquer la « machine à excuses », cette capacité que possède chaque organisation à résister aux mutations. Toutes les justifications sont bonnes pour maintenir le statu quo. « Je n’ai pas le temps » ou « on y travaille », autant d’alibis choisis par peur de bouger ou d’innover. Toutes les excuses sont bonnes pour en pas engager la transformation digitale.
«Trop de rigidité, trop de silos -diverses études le montrent. Une transformation digitale réussie implique en réalité une réorganisation interne et donc un effort de la part de tout un chacun, à commencer par les dirigeants. Or, j’observe de la résistance. Le poids des habitudes. En ira-t-il autrement demain, après la crise sanitaire ? »
L’Humain… c’est nous qui influençons l’IA !
Même constat à propos de l’intelligence artificielle, cette prétendue menace. « C’est plus sexy de dire que l’IA va nous dépasser, avance Luc Julia, ingénieur et informaticien, co-créateur de Siri, l’assistant vocal d’Apple. Les films marchent mieux si on nous explique que les robots vont exterminer l’espèce humaine que de dépeindre une IA faible, comme c’est le cas. Tous ces films d’Hollywood et ces discours des géants de la tech, cela fait vendre du papier, fait le buzz, permet de tirer la couverture sur soi, mais ça n’a rien à voir avec la réalité scientifique. Il y a beaucoup de marketing et de communication dans ces discours. »
Mais c’est dangereux. On crée des tensions inutiles car on fait peur, en expliquant que cela va détruire des emplois par exemple. Cela peut aussi décevoir, car on promet des choses qui n’arriveront sûrement jamais et le risque d’assister à un autre « hiver de l’IA », comme il y en a déjà eu précédemment… « Cessons de raconter n’importe quoi sur l’IA! Nous devons être très clairs sur les limites de la technologie. Ne croyons pas que l’IA nous influence, elle n’est qu’un outil ! C’est nous, les Humains, qui influençons l’IA ! »
En ligne et hors ligne, ce sont plus de ventes
Pourquoi donc réduire le rôle de l’Humain face à la technologie ? Pourquoi, surtout, sous-entendre qu’il va nécessairement s’effacer devant l’avancée de la technologie ? Frédéric Taminiaux, patron d’Eggo, en parle avec expérience, lui qui s’est lancé dans un vaste projet autour du phygital.
« Chez Eggo, le client devient naturellement co-créateur de sa cuisine. Nous l’invitons à l’imaginer pour mieux se l’approprier. Nous sommes là, tout au long du parcours client, pour l’accompagner et le guider dans ses choix. »
Dans ce nouveau parcours, le vendeur devient conseiller. Il suit, il guide. Sa mission change : faire vivre une expérience unique, de l’accueil jusqu’à la sortie du magasin. Ce qui suppose mieux comprendre le client. Et donc cartographier les différentes étapes du parcours client : ce qu’il doit voir et entendre, ses peurs et ses attentes… Le conseiller peut alors partir de cela pour modéliser son approche afin de faire vivre l’expérience choisie à son client.
La démarche va plus loin. Aujourd’hui, nombre d’expériences montrent que les entreprises uniquement en ligne font face à des coûts plus élevés que celles qui animent des emplacements physiques. On sait aussi que les consommateurs qui accèdent à la fois aux canaux en ligne et hors ligne génèrent plus de ventes… L’Humain, toujours !
Tabula rasa
Tout révolutionner ? La tentation est forte pour un dirigeant qui arrive à la tête d’une société de vouloir tout changer. A la base, l’idée d’offrir un nouveau départ. Le mode opératoire de la révolution digitale, c’est la disruption. Le futur se construirait-il contre le passé et les anciens repères ? Cette idée n’est souvent qu’un mirage, qui réapparaît sous la forme du « monde d’après » lié à la crise sanitaire. L’enjeu consiste à inventer le futur, non pas contre mais avec son passé.
La COVID a mis l’accent sur le fait que la prestation de nos soins de santé repose sur un système… et que la résilience de celui-ci ne sera jamais plus forte que ne l’est chacun de ses constituants. La souplesse et l’agilité, des facteurs essentiels de résilience, sont souvent évacuées des systèmes conçus dans une optique d’ingénierie de la valeur, qui vise à optimiser l’efficacité et à réduire les coûts au minimum.
Situation paradoxale
« Si nous voulons être mieux préparés pour l’avenir, peut-être devrons-nous remettre en question notre conception de la ‘valeur’ et réfléchir aux conséquences que pourrait bien avoir cette tendance à nous ménager si peu de marge de manœuvre, estime Bruno le Marchand, CIO du CHU Saint-Pierre au moment des deux premières vagues, actuellement CIO du LHUB-ULB. Désinfecter nos salles n’est pas mon job, mais quand il faut le faire, parce qu’on manque de ressources, parce que nous sommes tous dans l’urgence, je m’y mets, comme nombre de mes collègues l’on fait !»
On sort de la technologie, on est dans l’urgence. « La pandémie a certes fragilisé le système de santé, mais elle a également permis d’identifier de nouveaux modes de fonctionnements pour soutenir la productivité du personnel hospitalier, estime Bruno le Marchand. Nous nous sommes retrouvés dans une situation paradoxale : recourir à un maximum de compétences en faisant appel à la solidarité du plus grand nombre et, en même temps, protéger nos personnels en développant le télétravail. La téléconsultation avec les patients et l’utilisation plus massive de nos systèmes de téléconférence ont été favorisées par ces circonstances.»
Ce qui reste quand tout a changé…
A Connect, il fut plutôt question de reconnexion. Nous ne nous levons pas le matin pour des chiffres, mais pour une histoire à laquelle on croit. Un point commun à des grandes entreprises est d’avoir négligé la culture d’entreprise en période de grande transformation, la réduisant à un concept marketing. Et si elle était ce qui reste lorsque tout a changé ? « Ce qu’on souhaite avant tout, c’est favoriser l’autonomie et la prise d’initiatives, enchaine Fabien Pinkaers. Chez Odoo, il n’y a pas deux échelons entre la base et moi. Si on veut me voir, il suffit de me contacter. Pour tout le monde, je suis Fabien ! »
Dans un environnement commercial de plus en plus compétitif, les entreprises ont toutes à cœur de fidéliser leurs clients et d’en attirer de nouveaux. Leurs efforts se portent généralement sur leurs stratégies marketing et vente, mais les stratégies clients revêtent également une grande importance, en particulier dans un contexte économique instable.
« Chez Eggo, nous avons bien compris qu’il était nécessaire de réorienter nos moyens et processus vers le client et d’intégrer sa voix aux décisions stratégiques, assure Frédéric Taminiaux. Renforcer les programmes d’écoute clients, investir dans les bases CRM, développer la culture du client auprès des collaborateurs sont autant de moyens de mettre en place des actions et stratégies efficaces. Nous avons aussi compris qu’il ne fallait pas tout attendre de la technologie. »
La crise et ses opportunités
Pour Bernard le Marchand, il faut avant tout rétablir la confiance, ébranlée par la crise sanitaire et sa complexité. En même temps, et c’est une surprise, les gens n’ont jamais eu autant confiance en leurs employeurs. Pas le monde du travail en général, mais leur propre employeur. « Cela met beaucoup de pression, mais c’est aussi une grande opportunité. Nous l’avons vécue avec du personnel qui n’a pas compté ses heures. De la même façon, nous avons été amené à expérimenter de nouveaux processus, de nouvelles technologies. Nous avons pu ainsi recourir à l’intelligence artificielle en support à la radiologie pour poser un diagnostic médical, l’imagerie pouvant aider à prévoir l’évolution clinique des patients touchés par le virus… »
« Sans cette crise, illustre Bruno le Marchand, nous n’aurions sans doute jamais abordé aussi rapidement une nouvelle technologie. Et si nous avons pu le faire, c’est aussi grâce au soutien indéfectible de nos partenaires technologiques qui ont redoublé de créativité. L’Humain !»
Alain de Fooz