Les éditeurs européens d’IA ont-ils encore une chance de s’imposer ?
En nouant des partenariats avec les startups, les hyperscalers américains auraient déjà pris les rênes du marché de l’IA. L’Europe est mise à mal, s’alarment les ONG AI Now et Open Market Institute. L’avis de Max von Thun, Europe Director, Open Markets Institute.
Qui contrôle Mistral AI présenté lors du récent Sommet mondial de l’IA à Paris comme le « la pépite française » ? Pour partie Microsoft… suffisamment pour orienter ses choix technologiques.
« La domination des Big Tech dans l’écosystème de l’IA est déjà profondément ancrée. Les hyperscalers du cloud – Amazon, Google et Microsoft – contrôlent les deux tiers du marché du cloud computing, un apport essentiel pour la formation et l’exploitation des modèles d’IA, rappelle Max von Thun, Europe Director, Open Markets Institute. Les géants de la technologie ont un contrôle réel ou de fait sur la plupart des principaux laboratoires d’IA d pointe, notamment OpenAI, Anthropic, DeepMind et Mistral. »
Voyons plus loin. Nvidia et TSMC détiennent le monopole de la conception et de la fabrication de puces d’IA avancées. Au-delà de cette infrastructure de base, les géants de la technologie contrôlent également la majorité des passerelles commerciales utilisées par la plupart des particuliers et des organisations pour accéder aux systèmes d’IA, notamment les smartphones, les systèmes d’exploitation, les navigateurs et les moteurs de recherche.
L’Europe dépendante
Cette concentration du pouvoir s’étend au-delà du secteur privé, constate Max von Thun. « Les gouvernements eux-mêmes deviennent de plus en plus dépendants des monopoles technologiques pour les services et infrastructures de base. Ils transfèrent de plus en plus leurs opérations, de l’éducation publique et des soins de santé à la défense et à la police, vers le cloud. Et ils adoptent les solutions d’IA des géants de la technologie dans l’ensemble du secteur public, le gouvernement britannique ayant récemment annoncé son intention de « généraliser l’IA dans les veines de la nation ».
Tout aussi inquiétant, les décideurs politiques sous-traitent le développement de la politique d’IA à des entreprises qui tirent elles-mêmes profit des technologies d’IA. Les empreintes digitales des Big Tech sont omniprésentes dans la politique de l’IA, depuis les groupes de travail sur le code de bonnes pratiques de l’IA Act de l’UE jusqu’aux conseils sur les stratégies nationales en matière d’IA. « Les décideurs politiques ont été bien trop prompts à considérer ces entreprises comme des sources bienveillantes d’expertise et d’innovation, tout en ignorant ou en minimisant les risques de laisser les renards garder le poulailler réglementaire », regrette Max von Thun.
Coercition, manipulation…
Le récent Sommet l’a montré : l’Europe et de nombreuses autres régions du monde risquent de devenir encore plus dépendantes d’une poignée de monopoles technologiques américains pour les infrastructures numériques et les services d’IA essentiels. Ces dépendances empêchent les nations de tirer pleinement parti des avantages de l’IA pour leurs propres économies et leurs citoyens, tout en les exposant à la coercition et à la manipulation des Big Tech et du gouvernement américain, dont la fusion a été accélérée par le retour de Donald Trump à la présidence.
Pour Max von Thun, les conséquences sociales et économiques de l’échec à endiguer la domination de l’intelligence artificielle par les géants de la technologie seront graves. « Loin de promouvoir l’intérêt public, leur pouvoir de marché le sapera – en exploitant l’intelligence artificielle pour doper la surveillance intrusive, la manipulation algorithmique et l’exploitation extractive du contenu journalistique et artistique – tout cela dans le but de canaliser plus d’argent vers les actionnaires. En outre, les jardins clos et les pratiques anticoncurrentielles des géants de la technologie rendront presque impossible pour les innovateurs de percer et de se développer sur le marché de l’IA, comme c’est déjà le cas dans de nombreux secteurs de l’économie numérique. »
Briser l’emprise des titans…
Le message est clair : la domination étouffante des géants de la technologie ne peut pas être reléguée à une conversation secondaire ; elle doit être au cœur du débat général. Plus que jamais, il s’agit de « briser une fois pour toutes l’emprise des titans de la technologie sur notre avenir collectif », estime Max von Thun.