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Illégalité du CST en Wallonie. Le droit s’impose
En référé, le Tribunal de première instance de Namur a constaté l’illégalité du Covid Safe Ticket en Wallonie. Une victoire pour l’association Notre Bon Droit. Restent les questions fondamentales.
La décision du Tribunal de première instance n’annule pas le Covid Safe Ticket, insiste le gouvernement wallon; le CST reste donc d’application en Wallonie. Il n’empêche. La Région wallonne a été condamnée mardi 30 novembre à mettre un terme à cette illégalité apparente dans un délai de 7 jours. Mercredi 1er décembre, la Région a décidé d’interjeter appel.
Dans son ordonnance, le Tribunal constate notamment la « contrariété apparente » du décret wallon du 21 octobre dernier relatif à l’usage du CST et au port du masque au droit supranational de l’Union européenne et son apparente violation du principe de légalité. Il constate également que ces diverses normes semblent contrevenir au principe de proportionnalité des mesures restrictives de liberté au regard des buts poursuivis.
Discrimination entre les citoyens
Le Tribunal de première instance condamne dès lors la Région wallonne à prendre toutes les mesures appropriées pour mettre un terme à cette situation d’illégalité. « Le Tribunal constate plusieurs problèmes de légalité dont la contrariété du décret wallon au droit européen et au droit à la protection des données personnelles. La décision ajoute qu’il ne serait pas démontré que le CST serait la seule alternative à un nouveau lockdown », expliquait mardi soir l’ASBL Notre Bon Droit.
Selon les deux avocates de l’association, Audrey Despontin et Audrey Lackner, « le Tribunal a aussi critiqué la discrimination instaurée entre les citoyens sans justification objective et scientifique, l’absence de démonstration d’une mesure proportionnée ainsi que la possibilité laissée aux citoyens de décider seuls d’imposer le CST. » On notera qu’une action en référé similaire contre le CST bruxellois a été introduite devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. Elle sera plaidée le 8 décembre.
Jurisprudence ?
Cette décision du Tribunal de première instance de Namur place la Belgique dans la même position que l’Espagne où le pass sanitaire dépend des régions. Aux Canaries, par exemple, le Tribunal supérieur de la justice a interdit le pass sanitaire avec comme argument qu‘exiger une preuve de vaccination pour l’accès à des lieux ouverts au public suppose « ségréguer » ces personnes, qui ont cependant « licitement » choisi de ne pas se faire vacciner, la vaccination étant volontaire.
La décision du Tribunal de première instance de Namur fera-t-elle jurisprudence ? Les questions posées par le CST restent d’actualité. En Belgique, ce qui appartient aux droits fondamentaux relève du pouvoir législatif compétent. Il est donc temps pour les parlements d’agir, de préciser les normes, de mesurer leur impact sur d’autres droits et sur des groupes vulnérables, de faire usage de garde-fous institutionnels soutenant par leurs avis le travail législatif. Et dans le cas du CST, l’ouvrage est énorme : qu’en est-il de l’accès aux données personnelles par des opérateurs privés ? Quelle sera la durée d’enregistrement des contrôles du CST et, peut-être, des déplacements personnels ? Dans quelle mesure le CST n’exclura-t-il pas davantage de la vie sociale les plus précarisés ?
Du Conseil de l’Europe à Bruvax
Le 31 mars 2021, le Conseil de l’Europe avait déjà alerté dans son avis « Protection des droits de l’homme et pass vaccinal »sur l’utilisation éventuelle de certificats de vaccination, comme celle de données relatives à l’immunisation, « à des fins autres que strictement médicales, par exemple pour donner aux personnes concernées un accès exclusif à des droits, services ou lieux publics ». Il relevait que celle-ci soulevait de nombreuses questions de respect des droits de l’homme et devait être considéré « avec la plus grande prudence ». Cette position trouve un écho dans sa résolution 2351 « Vaccins contre le COVID-19 : considérations éthiques, juridiques et pratiques », qui présente comme élément permettant de garantir un niveau élevé d’acceptation des vaccins le fait de « s’assurer que les citoyens sont informés que la vaccination n’est pas obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ».
Ce dossier soulève des questions inédites et complexes d’articulation entre protection de la santé publique et exercice de libertés fondamentales. Ce choix comporte une dimension éthique. La mise en place d’un contrôle sanitaire à l’entrée de certains lieux ou moyens de transport questionne la frontière entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et ce qui relève du contrôle social. En principe, il ne doit pas y avoir de contrôle de l’état de santé à l’entrée de lieux de vie collective. Or, comme le rappelle fort justement l’association Charta 21, c’est ce que permet une autre plate-forme, en l’occurrence Bruvax. La faille est béante : l’accès se fait par le seul numéro de registre national. Ce qui signifie que des personnes autres que le titulaire -employeur, banquier, etc.- peuvent introduire ce numéro sur la plate-forme et être informées du statut vaccinal de celui-ci.
Du silence assourdissant de l’APD
Si soucieux de faire respecter le RGPD, l’Etat belge -au niveau fédéral comme au niveau régional- est moins regardant pour les applications qui relèvent de ses autorités. De toute évidence, l’accès aux informations de santé devrait être limité à des personnes « habilitées ». Qui plus est, rappelons que si un responsable de traitement collecte ou héberge des données de santé, il doit non seulement effectuer une AIPD (Analyse d’Impact relative à la Protection des données), mais également mettre en place des mesures de sécurité adéquates. On voit mal comment un patron de restaurant pourra former son personnel à la protection des données personnelles, disposer d’un système d’information sécurisé pour héberger tout cela, etc.
Si, hier, la Région wallonne était absente au Tribunal de première instance de Namur, il sera intéressant de voir comment l’APD, l’Autorité de la Protection des Données, réagira. En effet, si les modalités des dispositifs de traçage restent bien floues, il n’en demeure pas moins qu’à ce jour et conformément à l’Article 10 du RGPD, seules les autorités publiques sont en mesure d’accéder à ces informations. L’APD sortira-t-elle enfin de son silence ? La décision de justice d’hier devrait l’y amener…
Alain de Fooz