«Il y a, depuis des années, de nombreuses discussions sur ce qui ressort précisément du domaine privilégié des entreprises et institutions publiques. Une directive européenne de 2014 a tenté de faire la clarté sur ce sujet, mais il apparaît dans la pratique que les bureaux d’ingénierie et de consultance en font les frais. Il est temps de tirer la sonnette d’alarme», estime Jan Bosschem, CEO, ORI. Une concurrence déloyale menace les bureaux d’ingénierie et de consultance du secteur privé !
En raison de la conjoncture économique difficile, les bureaux d’ingénierie et de consultance doivent déjà faire face à de nombreuses difficultés. Il apparaît en outre aujourd’hui que certaines décisions des autorités -qui, en principe, devraient pourtant être en première ligne pour relancer la croissance- s’opposent à la poursuite du développement du secteur privé. «Le problème réside plus spécifiquement dans la définition du périmètre au sein duquel les entreprises et les institutions publiques peuvent être actives», constate Jan Bosschem.
Les intercommunales en font activement la publicité en relevant le fait qu’ils ont aujourd’hui l’autorisation de réaliser des missions de services pour leurs membres sans devoir passer par la législation sur les marchés publics. Etant donné, dans ce cas, que le fournisseur de services et l’organe de contrôle (les membres) sont juge et partie, il n’y a plus aucun contrôle objectif de l’utilisation efficace des ressources publiques (il n’y a en effet pas de référence au prix du marché) et on ne vérifie que rarement la conformité de la mission avec les objectifs et les tâches principales de l’intercommunale.
«Par ailleurs, nous constatons aujourd’hui que certaines intercommunales et entreprises publiques se comportent aussi comme des promoteurs et des agents immobiliers, poursuit Jan Bosschem. Il n’est pas rare qu’elles fournissent des plans d’exécution spatiale, des plans d’expropriation, qu’elles se comportent comme maître d’œuvre du projet, qu’elle fassent des études pour les routes, les travaux d’égouttage, pour la construction d’habitations jusqu’à la construction et la vente même de lots et de maisons aux particuliers ou aux entreprises.»
Une Directive européenne donne un rôle ambigu aux intercommunales
De telles pratiques pour les institutions publiques sont politiquement inscrites dans la législation belge à la suite de la directive européenne de 2014 sur les marchés publics qui a été adoptée par le Conseil européen. Elle établit sous quelles conditions des arrangements au sein du secteur public sont considérés comme étant de l’interne (‘in-house’) et donc non soumis à la législation sur les marchés publics. «Toutefois, la directive ne dit rien sur comment les tarifs des prestations de services seront rétribués. Le SPF Finances ne s’est par ailleurs pas encore prononcé sur une éventuelle exemption de TVA pour des prestations de services entre entités publiques qui ont été conclues hors marché. Cela permet aux intercommunales et entreprises publiques de jouer un rôle ambigu.»
Intercommunales, restez à votre place !
ORI reconnaît le rôle positif joué par les intercommunales et les entreprises publiques dans le rassemblement, la coordination et la professionnalisation des tâches d’exécution politique.
«Cependant, l’objectif ne peut être que les intercommunales et les entreprises publiques viennent concurrencer les secteurs de services privés obtenant de bons résultats tels que les géomètres, les experts en urbanisme, les bureaux d’ingénierie et de consultance, les entrepreneurs et les promoteurs immobiliers», prévient Jan Bosschem.
Ces institutions publiques, poursuit le CEO d’ORI, devraient s’en tenir à leurs missions initiales, telles que définies dans leurs statuts, qui restent limitées aux tâches principales des autorités et ceci dans les limites géographiques des membres de l’intercommunale.
Toutefois, en raison du mélange des genres entre leur position de fournisseur de services commerciaux à leurs propres membres et la dépendance de ces mêmes membres, qui les contrôlent et partagent souvent les bénéfices de l’intercommunale, il existe une forte présomption d’une inégalité de traitement à l’encontre des entreprises privées concurrentes. Le fait que les intercommunales soient partiellement subventionnées par des fonds communautaires pour les tâches qui leur ont été statutairement assignées renforce la présence de conflit d’intérêts. ORI en est donc venu à la conclusion que ces intercommunales sont susceptibles d’être à la fois juge et partie.
ORI s’attend donc à ce que les tâches, que le secteur privé peut exécuter efficacement et dans le cadre de la concurrence, leur soient sous-traitées…
Les mêmes règles de concurrence: c’est quand-même plus que logique, non?
Grâce aux efforts de la FEB, de ORI et d’autres fédérations, des révisions de lois ont entretemps été approuvées, déterminant ainsi un cadre fiscal plus neutre.
Il nous semble donc tout simplement logique que TOUS les acteurs du marché respectent les mêmes règles de concurrence. Si certaines entreprises publiques, intercommunales, entreprises d’utilité publique, institutions subsidiées ou universités sont donc en concurrence sur le marché avec des bureaux de consultants et d’ingénierie privés, il va donc également de soi que tout le monde suive les mêmes règles.
Ce qui veut dire :
– l’ensemble des frais généraux doit être repris dans le calcul du prix;
– un même régime fiscal doit être respecté;
– la TVA doit être facturée au client selon le même tarif que celui des autres acteurs du marché;
– une comptabilité ouverte et transparente doit être tenue de sorte qu’un contrôle efficace de l’utilisation des ressources publiques puisse être réalisé à tout moment. Cela garantit également une transparence à l’égard du secteur privé quant à savoir si des fonds publics, qui pénalisent le secteur privé, ont été attribués ou non.
Le principe d’égalité doit être respecté pour une concurrence efficace et transparente. Il doit donc être interdit à toute personne physique ou morale responsable d’un service public d’intervenir directement ou indirectement dans l’attribution et la supervision de l’exécution d’un marché public dès lors qu’il a personnellement ou via un intermédiaire, des intérêts dans l’une des entreprises soumissionnaires, ceci afin d’empêcher qu’il y ait un risque d’être juge et partie.
«ORI est conscient que l’Europe autorise le phénomène ‘in house engineering’, mais que l’interprétation de celui-ci n’est pas suffisamment spécifiée, conclut Jan Bosschem. De plus, L’Europe n’indique pas de quelle manière il peut être indemnisé. La manière dont ‘in house engineering’ peut être adapté est donc un choix politique. Le gouvernement a pourtant le devoir de dépenser l’argent de ses citoyens de façon transparente et en bon père de famille. Le fait que les acteurs publics, qui ont des intérêts communs sans vérification sur le marché, commandent entre eux des missions commerciales témoigne d’une mauvaise politique, qui en plus nuit déloyalement au secteur privé.»