Artificial Intelligence
Artificial Intelligence, Deep Learning, Machine Learning
« L’esprit artificiel ». Et Dieu dans tout ça ?
« Ce qui se joue en ce moment avec l’IA n’est qu’un vieux cauchemar de l’humanité ! » Pour Raphaël Enthoven, une intelligence artificielle ne pourra jamais rivaliser avec un humain dans le domaine de l’esprit. Et tant mieux !
De la science au droit, de la médecine aux questions militaires, l’intelligence artificielle bouleverse tous nos champs de compétence. Sauf en philosophie. « L’IA ne sert à rien », avance Raphaël Enthoven. Dans « L’esprit artificiel » ( Editions de l’Observatoire, 192 pages, 19 euros ), le philosophe veut rassurer. Une machine ne sera jamais philosophe ou bienveillante. Et d’élever le sujet à un autre niveau : « Ce qui se joue en ce moment avec l’IA n’est qu’un vieux cauchemar de l’humanité ! »
Voici un quart de siècle, le 11 mai 1997, le champion d’échecs Garry Kasparov était battu par Deep Blue, le superordinateur d’IBM, aux termes de six parties achevées sur le score final de 3,5 points à 2,5. Une défaite historique par l’IA qui a longtemps ébranlé la Russie. Le 14 juin dernier, Raphaël Enthoven s’opposait à ChatGPT sur une épreuve du baccalauréat, avec pour thème « Le bonheur est-il affaire de raison ? ». Pour gagner haut la main. L’agrégé obtint 20/20 contre un « médiocre » 11 pour la machine. Bravache, l’auteur affirma que les philosophes seraient l’une des dernières professions à être remplacées par l’IA…
Toujours notre peur de la machine
Pour l’auteur de « L’esprit artificiel », le prototype d’agent conversationnel ChatGPT, qui peut répondre à toute question, trouver une recette de cuisine à partir du contenu d’un réfrigérateur, rédiger un article ou composer un poème sur le sujet de notre choix, qui puise dans l’intégralité du savoir disponible pour en livrer une synthèse en quelques secondes… se trouve comme une poule devant un couteau quand on lui demande de réfléchir. Quelle énigme !
Et de poser les bonnes questions. Pourquoi, notamment, le geste tout simple qui consiste à trouver une problématique, c’est-à-dire à transformer une question en problème pour en faire la colonne vertébrale d’une réflexion, demeure-t-il hors de sa portée ? À quoi tient cette singularité, ce je-ne-sais-quoi ? Pourquoi la pratique de la philosophie est-elle inaccessible à l’IA ? Et pourquoi l’humanité demeure-t-elle un casse-tête pour la machine ? C’est la même question.
« Le professeur de philosophie est le gardien d’un musée vivant dont les portes sont toujours ouvertes, et dont les occupants ont à tout moment carte blanche pour se rendre visite et partager leurs doutes. C’est ce qu’une machine ne pourra jamais rattraper. Ça va trop vite pour elle ! » On retrouve l’art de la formule et la pirouette gourmande de Raphaël Enthoven. « La question n’est pas de savoir quand la machine produira de la pensée, mais plutôt d’où vient notre vieille peur d’elle, qui va du Golem à ChatGPT en passant par Frankenstein ou Terminator… »
Ne pas confondre réflexion et accumulation de données !
L’humanité a toujours fait le rêve que ses créations deviendraient des créatures et lui tourneraient le dos, relève encore l’auteur. Or, la machine ne pourra jamais penser, réfléchir, être drôle, avoir des états d’âme. ChatGPT, par exemple, est parfaitement incapable de faire de la philosophie. Réfléchir est une faculté dont tout système -par nature artificiel- est dépourvu…
En somme, ne pas confondre réflexion et accumulation de données ! « L’humain reste un casse-tête pour la machine », soutient Raphaël Enthoven. En attendant, a chiffré le cabinet Michael Page, 72% des Belges actifs se disent conscients que l’IA remplacera quantité d’emplois dans leur secteur.
L’esprit artificiel néglige notre désir d’apprendre
Pour Raphaël Enthoven, la vraie question n’est pas de savoir si les machines vont nous remplacer, mais d’où nous vient une telle trouille ! Selon lui, parce qu’on se prend pour Dieu. Et de poursuivre : « le terme ‘intelligence artificielle’ est un oxymore ; ça ne veut rien dire, c’est comme ‘mort-vivant’ ! »
Dans « Ménon », Platon se représente deux obstacles au goût de connaître, deux états également stériles : l’ignorance complète et la science achevée. D’un côté, l’ignorant ignore qu’il ignore, et ne cherche donc pas à savoir ; de l’autre, le savant, sachant qu’il sait, n’a lui non plus aucun goût pour l’apprentissage. Entre les deux se trouve l’homme, c’est-à-dire le philosophe, qui sait qu’il ignore, et qui, en vertu de ce savoir minimal, développe le désir d’apprendre. Ces deux états rendus stériles tantôt par l’ignorance et tantôt l’omniscience, on les retrouve dans le statut de l’animal et de la machine. L’animal, c’est l’ignorant qui ignore qu’il ignore. La machine, c’est un savoir que ses promoteurs présentent comme suffisant. Entre les deux, l’humanité, perfectible, se pose des questions et se donne des machines.
Et si notre problème n’était pas tant notre rapport à la machine que notre envie de l’humaniser… et donc de nous prendre pour des dieux ? Or, il n’y a pas de Dieu dans la machine, rassure Raphaël Enthoven.