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Liberté d’expression, liberté de penser
Et si Elon Musk ouvrait un espace à la liberté d’expression ? A tout le moins, la question divise. En particulier en Europe, qui s’apprête à introduire le Digital Service Act.
Dans un tweet publié à la suite de son rachat de Twitter pour 44 milliards USD, Elon Musk estimait que « la liberté d’expression est le fondement d’une démocratie qui fonctionne ». Et d’enchainer, un rien mercantile : « Twitter est la place publique numérique où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’humanité ».
Côté européen, la réaction ne s’est pas fait attendre. Thierry Breton, Commissaire au marché intérieur, a tout de suite mis en avant le Digital Services Act, un prochain cadre réglementaire présenté comme un ensemble de « garde-fous ».
On l’a compris, au principe des droits européens, Elon Musk oppose une approche résolument différente de la notion de liberté d’expression. Et, soudain, rien ne va plus ! Pour de nombreux grands démocrates autoproclamés et autres gentils woke conscientisés, son projet reviendrait, ni plus ni moins, à menacer la liberté et la qualité des médias traditionnels, à soutenir Donald Trump, le patriarcat, voire le suprémacisme blanc !
Une question, deux perceptions
Pour l’essayiste Idriss Aberkane, la démarche européenne étonne. Pourquoi, interroge-t-il, faut-il nécessairement associer la notion de liberté d’expression à d’inévitables dérives ? Et de voir dans ce rachat une possible « révolution ».
On se souvient que, par le passé, Elon Musk a lourdement critiqué Twitter, notamment dans sa gestion du cas Donald Trump, qui fût censuré, puis banni suite à sa contestation des résultats de la dernière élection présidentielle. Aussi, Aberkane évoque « un changement géologique », « une inversion des pôles ». Bref, une impérieuse nécessité. « Sur Twitter, aujourd’hui, les Talibans ne sont pas censurés, alors que l’ex-président des Etats-Unis l’est ! Est-ce normal ? »
Et Aberkane de poursuivre : « Musk n’a jamais été ‘compliant’ avec la dictature sanitaire. Au plus fort de la crise, à l’instar d’un pirate, il portait un bandana. Le message était clair… L’administration Biden lui en veut terriblement, jusqu’à prétendre que le premier constructeur automobile engagé dans l’électrique n’est pas Tesla, mais Ford ! Tout est mis en œuvre pour le casser. Il n’en reste pas moins que cet homme est suivi sur Twitter par 80 millions de personnes ! »
Quid de la question de la crise sanitaire ?
« Tout ce qui est interdit dans la vie réelle le sera aussi dans la vie numérique», schématise pour sa part Thierry Breton. Et de justifier ainsi le futur DSA. Le texte s’attache, faut-il le préciser, à durcir les conditions de modération des réseaux sociaux. Pour le moment, seule une directive de 2000 détermine à l’échelle européenne la responsabilité des acteurs de numérique vis-à-vis de leurs publications. Soit un acteur numérique est éditeur et est responsable de ce qu’il publie, soit il est hébergeur et n’est responsable qu’en cas de réclamation. Des définitions qui n’étaient plus adaptées aux plateformes comme les réseaux sociaux.
Avec le DSA, il est donc question d’imposer aux plateformes numériques des « obligations de moyens ». Le projet de règlement européen ne porte pas sur la définition du contenu à réguler, qui relève des lois nationales et d’autres règlements européens spécifiques, mais sur l’application, sur internet, des obligations déjà présentes dans les lois existantes, comme l’interdiction de propos homophobes, d’incitation à la haine raciale, etc. En fonction des pays, le négationnisme peut faire partie des propos à supprimer, donne pour exemple le cabinet de Thierry Breton. Quid, en revanche, de sujets tels que la Russie aujourd’hui en guerre ? Ou le « complotisme » relatif à la crise sanitaire ? Le flou règne.
Ce rachat met au défi, avant l’heure, le DSA. De fait, l’acquisition de Twitter par Elon Musk pourrait raviver les tensions entre nos visions de la liberté d’expression. En effet, si pouvoir dire librement ce que l’on pense, faire valoir son point de vue, défendre ses opinions, communiquer ses idées, sans crainte pour sa vie, est un précieux acquis, il n’y a pas de mimétisme. Chacun a ses particularités.
Trump, le patriarcat et le suprémacisme blanc !
Si Internet peut servir de vecteur à tous les droits fondamentaux, la promotion de l’expression sur internet y revêt une importance fondamentale. Le 29 juin 2016, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a d’ailleurs reconnu la liberté d’expression sur Internet. Sans plus de précisions. Or, force est de constater que peu d’États se sont dotés d’un régime législatif ou règlementaire ad hoc. Peu ont défini les conditions et les procédures à respecter par ceux qui pratiquent le blocage, le filtrage ou le retrait de contenus en ligne. En l’absence d’un cadre juridique spécifique ou ciblé, ces pays s’appuient sur un cadre juridique général existant, non spécifique à Internet. Ce qui constitue en général un blocage ou retrait limité de contenus illégaux en ligne.
En 2014, outre le DSA, nous accueillerons le DMA (Digital Market Act). Les plateformes en ligne devront alors réagir rapidement lors d’un signalement de contenu illicite. Y compris pour des produits et des services frauduleux. Comment ? Via un système de notification plus efficace. En cas de non-respect, les médias sociaux et les moteurs de recherche pourront écoper d’une amende équivalent à 6 % de leur chiffre d’affaires.
Nos gouvernants sont-ils si certains de ne jamais se tromper ?
Qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui est mal ? Qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui ne l’est pas ? L’« affaire Twitter » pose aussi, indirectement, la question des « fake news ». Nos gouvernants sont-ils si certains de ne jamais se tromper qu’ils seraient bons juges en la matière ? Rien ne vaut la contre-argumentation pour réfuter des affirmations qui nous semblent fausses. De plus, l’expérience a montré à maintes reprises que toutes les tentatives d’interdiction n’ont jamais réussi à mettre fin à une pratique ou une rumeur. Au contraire, elles tendent à lui donner un surcroît d’intérêt.
La réflexion renvoie à Facebook. Sans s’estimer être « les arbitres de la vérité », ses dirigeants ont néanmoins commencé, à partir de 2017, à imposer des contrôles. Et, dès 2020, à bloquer les publications mettant à mal la gestion de la crise sanitaire. Ou mettant en doute le discours officiel. En somme, une sorte de contrôle parental à vie du citoyen !
Etonnamment, la pratique n’indispose que peu d’internautes. Elle a même ses défenseurs. En particulier le philosophe et grand adepte des tweets comminatoires Raphaël Enthoven. Pour lui, c’est très simple, trop de liberté tue la liberté ! « Il y a quelque chose de liberticide dans une liberté totale » a-t-il affirmé. A ses yeux, un Twitter sous la houlette d’Elon Musk constitue « une perspective liberticide et non pas libérale ». Bref, à l’en croire, nous serions plus libres dans le cadre d’une liberté d’expression encadrée…
Elon Musk pourrait reprendre à son compte le « Sauvons la liberté, la liberté sauve le reste ! » de Victor Hugo. Dans le débat sur la liberté d’expression qui nous occupe, il s’agit de savoir qui pourrait avoir le pouvoir supérieur de décider quelles opinions ont droit de cité et quelles autres ne l’ont pas.
Alain de Fooz