La mobilité, premier vecteur de transformation digitale
La mobilité passe clairement par la dématérialisation et l’automatisation des processus documentaires, estime Eric Gryson, CEO, Ricoh Belgium & Luxembourg.
° Pourquoi, selon vous vous, cet engouement pour la transformation digitale ? Au quotidien, le ressentez-vous dans vos échanges avec les dirigeants d’entreprises ?
Eric Gryson : «La transformation digitale est de toutes les discussions, de tous les échanges. Elle concerne tous les secteurs, aussi bien les technologies et les usages; elle impacte les modes de collaboration au sein de l’entreprise et entre l’entreprise et son écosystème. Son premier vecteur, aujourd’hui, est la mobilité. Depuis mon smartphone, je peux en effet accéder à n’importe quelle information, piloter n’importe quel système. Tout est à ma portée, n’importe où, n’importe quand.»
° La mobilité n’est-elle pas, plutôt, une conséquence de la transformation digitale ?
«Non. Elle constitue d’abord un besoin. La mobilité répond aux plus grands défis des entreprises du moment : déplacements difficiles, perte de temps dans le trafic, difficultés de collaboration à distance… Est-il normal, ici, de perdre 720 heures par an pour se rendre simplement à son travail ? La mobilité est donc bien à l’origine de la transformation digitale. Ce sont les nouveaux usages mobiles du grand public qui ont initié la transformation digitale dans les entreprises. Et pour beaucoup d’entre elles, la transformation est déjà en route, voire bien avancée.
«Une politique de mobilité réfléchie et efficace offre de nombreux avantages : productivité accrue, continuité du business, amélioration de la collaboration, hausse de la créativité, diminution de l’impact environnemental de l’entreprise…»
° La mobilité est plurielle. La façon de l’aborder varie donc d’une entreprise à l’autre…
«De fait. Dans une grande enseigne de la distribution alimentaire que j’ai visitée récemment, la mobilité est synonyme de ‘drive’, qui peut être une réponse intelligente à un sujet complexe, à savoir celui des coûts de livraison qui ne peuvent pas être compensés par la faible marge. Le dirigeant que je visitais s’interrogeait sur la façon livrer de grands volumes, notamment en mobilisant les ressources des clients -leur voiture, leur temps… On pourrait aller beaucoup plus loin dans de nombreuses directions : l’intégration des canaux électroniques et physiques, la présence de technologies utiles au consommateur sur le point de vente, l’intégration des réseaux sociaux dans les parcours d’achat, etc.
«Bref, j’entends dire par là que la mobilité n’est pas seulement justifiée par les générations X, Y ou Z, mais également par l’évolution des usages chez les clients, qu’ils soient internes ou externes. Il y a différents niveaux d’engagement des projets de mobilité : le contact avec le client et l’augmentation des revenus, l’efficacité métier pour accompagner les process métiers, la réduction des coûts, la performance des métiers dans le monde digital, la satisfaction des employés et des partenaires, pour leur délivrer des services de qualité. Ce qui veut dire, encore, que la mobilité implique des changements majeurs.»
° Justement, comme aborder la mobilité ? Comment l’initier partant qu’elle peut impliquer une refonte des processus de l’entreprise ?
«En reconsidérant notre façon de faire, notre façon de travailler. La mobilité passe clairement par la dématérialisation et l’automatisation des processus documentaires. Et là, Ricoh a un solide avantage… La mobilité s’appréhende plus en amont et de façon plus large pour satisfaire des formats et des canaux plus variés, sur des processus interdépendants les uns des autres qu’il faut étudier dans leur globalité. C’est un changement majeur. Pendant des années, en effet, les réflexions en matière de dématérialisation ont été menées en silos, processus par processus -bons de commande, factures, etc. Les organisations ont à présent une approche plus globale et voient le processus dans son ensemble. Elles ont bien compris qu’il n’y a de vrai gain que si le problème est abordé dans sa globalité. Ce qui suppose la mise en place de référentiels, l’adossement à des standards d’interopérabilité et l’utilisation d’API pour intégrer de façon harmonieuse la dématérialisation aux logiciels métier. Qui plus est, la législation encourage ce mouvement. Outre le règlement européen eIDAS, les législations belges et luxembourgeoises en matière de dématérialisation sont aujourd’hui les plus avancées en Europe…»
° Nous parlons de processus, autrement dit du coeur même de l’activité des organisations. Qui s’en soucie ? Quels sont vos interlocuteurs ?
«Les directions métier sont les premières demandeuses, il leur faut aujourd’hui composer avec un flux toujours plus important et hétéroclite de documents et de contenus numériques. Des données et des informations qu’il devient très compliqué de traiter, de gérer, d’intégrer aux processus métier, de diffuser et de valoriser. D’où cette appétence pour les outils de dématérialisation. D’autant qu’ils répondent aussi aux importants besoins d’automatisation des processus métier. L’introduction du numérique dans les processus documentaires est d’ailleurs considérée par les décideurs comme une réelle opportunité d’innovation dans leurs approches de travail et de collaboration, tant internes qu’externes.
«J’en parlais récemment avec le CEO d’un fleuron de la distribution automobile. Cette entreprise, à la pointe dans son secteur, se dit littéralement victime du papier, freinée dans son essor par un processus d’achat qui n’a pas évolué, impactant indirectement la satisfaction client. Parfois, il ne faut pas aller voir bien loin. Première entrave, dans le cas de cette organisation, l’usage de navettes pour le transport du courrier…»
° Vous parliez de collaboration… Influence-t-elle la mobilité et, par là même, la transformation digitale ?
«Absolument. La mobilité implique de nouveaux modes de collaboration. Auparavant, l’efficacité d’une entreprise se mesurait à son organisation, sans forcément regarder de près l’aspect collaboratif. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La transition digitale fait émerger de nouveaux modes de collaboration.
«On se rend compte que les idées ne sont pas uniquement localisées dans les hautes sphères hiérarchiques ou au sein des services R&D. Elles sont disséminées dans toute l’entreprise. Si le besoin d’organisation subsiste, tout l’enjeu consiste à susciter la réflexion intellectuelle des hommes et des femmes de l’entreprise pour faire émerger de bonnes idées, de bonnes pratiques et de bonnes stratégies. Il faut, à cet effet, que les entreprises s’équipent des outils qui leur permettront de favoriser en interne le partage des connaissances et d’innover rapidement pour proposer les produits et services attendus par les clients et ne pas se laisser dépasser par l’arrivée de nouveaux concurrents plus agiles, plus réactifs. Ces outils existent. Songez aux systèmes de vidéo-conférence, aux tableaux blancs interactifs…»
° Certes, mais ce n’est tout de même pas qu’une question d’outils…
«Ces outils de collaboration permettent de travailler autrement. Ils s’inscrivent dans un management repensé. Hiérarchique hier, le management devient transverse. Ce qui suppose que les personnes concernées par un projet, un produit ou une prestation puissent partager leurs documents. Il est important que chacun sache quels échanges ont été réalisés, quels documents ont été utilisés, quel travail de veille a été fait, etc. Les collaborateurs doivent pouvoir travailler, collaborer, communiquer dans ou hors de l’entreprise, mais aussi de développer des services et des produits afin de mieux servir les clients ou le public.»
° Cette facilité des échanges n’est pas sans danger. Collaborer… c’est s’ouvrir ! La sécurité n’est-elle pas le premier risque de la transformation digitale ?
«Incontestablement. Le risque est bien réel dans le sens où la transformation digitale induit de l’intangible partout où il y avait du tangible. Il peut se traduire par un manque de visibilité sur le parcours des informations, un manque de contrôle de ses données -souvent non structurées- et donc du patrimoine informationnel. C’est pourquoi, chez Ricoh, nous avons beaucoup investi dans l’IT. Le rachat d’Upfront, en décembre 2015, en est l’illustration. Et nous continuons à investir… Pas de mobilité sans sécurité ! A mon avis, c’est le chantier où il y a le plus à faire. Les PME, en particulier, sont terriblement en retard. Un de mes amis reconnaissait récemment que tous ses techniciens sur le terrain utilisaient le même mot de passe ! De façon plus générale, je constate un véritable manque de visibilité sur le parcours des informations que subit l’entreprise, d’autant plus dommageable qu’il y a une démultiplication des acteurs par lesquels l’information circule, qu’ils soient légitimes ou illégitimes d’ailleurs. La fiabilité et la source sont dures à légitimer.»
° La transformation digitale ne risque-elle pas de buter sur des questions de sécurité ?
«La transformation digitale n’est pas censée augmenter les risques… pour autant qu’elle est pensée de concert avec la sécurité. Aussi, mettre la sécurité au service d’une transformation digitale suppose que ses objectifs, ses priorités et les moyens associés soient clairement définis et réfléchis. La sécurité doit être prise en compte au plus tôt des fondements de la transformation digitale, c’est-à-dire une fois les orientations stratégiques, objectifs, équipes concernées clairement définis.»
° C’est dire l’importance du parcours. Or, quand on rencontre un fournisseur de technologie, on pense produits, fonctionnalités…
«Oui. Et c’est là que Ricoh veut se différencier… Transformer c’est décliner opérationnellement la stratégie digitale de son entreprise. Il est donc nécessaire d’avoir une vision au long cours. Les produits ne sont que des outils. Et s’ils ne sont pas intégrés dans le bon contexte, ils n’auront que peu de valeur.
«Autre écueil, confondre transformation et restructuration. Une entreprise assainie n’est pas une entreprise transformée. Il est donc primordial de définir le projet digital de l’entreprise : quel projet vers quelle destination. En pensant aux clients, mais aussi aux collaborateurs. Il est nécessaire de décrire la vision et les hypothèses d’avenir afin d’embarquer le plus grand nombre de collaborateurs. Transformer peut signifier externaliser. Notre capacité, chez Ricoh, à reprendre des équipes et à leur garantir un nouvel avenir a encouragé des organisations à franchir le pas de la transformation digitale.»
° L’humain, au centre du projet ?
«Toujours ! Toujours ! Or, trop souvent encore, les directions d’entreprises évaluent un retour sur investissement sans intégrer les conséquences humaines, ne serait-ce que les résistances au changement. A nous de les sensibiliser sur les différents impacts. A nous de former, de guider. Ainsi, le GDPR, le règlement européen sur la protection des données qui sera effectif en mai 2018, constitue un bouleversement considérable pour les entreprises car, outre les processus organisationnels et les contrôles de sécurité à mettre en place, il impose d’avoir une démarche globale, structurée et dans la durée. En ce sens, le GDPR n’est pas une contrainte, mais une opportunité.
«La transformation digitale ne consiste pas à améliorer les métiers de l’entreprise. Elle touche non seulement la manière dont sont commercialisés les produits ou les services mais aussi l’activité de l’entreprise dans son ensemble, de manière transverse et globale. C’est avant tout un voyage vers un autre business model. Le leader de demain aura su digitaliser non seulement la façon de travailler de ses collaborateurs, mais aussi la façon de penser de son organisation.»