Plaidoyer pour une «décroissance» du contenu
Le phénomène de décroissance est-il en train de toucher l’industrie du contenu ? 75% des lecteurs préféreraient lire des articles de moins de 1000 mots…
Notre prise de conscience collective des problèmes environnementaux devrait-elle éclairer notre réflexion sur le marketing de contenu ? C’est la thèse défendue par Audrey H. Forget, chef, stratégie de contenu chez Desjardins dans un billet publié sur LinkedIn. Elle y suggère une «décroissance» du contenu, à l’instar de la décroissance envisagée comme solution à la surexploitation des ressources de la planète et à la pollution. «Tout comme l’industrialisation sur l’humanité, la (sur)croissance du contenu a maintenant des effets indésirables et négatifs sur le marketing», note-t-elle.
Patrick Pierra, associé de l’agence 37e AVENUE en développe l’idée. Reprenant les concepts de la décroissance, il rappelle les trois problèmes soulevés par Audrey H. Forget, à savoir :
– un «dysfonctionnement des communications» dans les grandes organisations : tous les services liés aux communications et au marketing veulent -et doivent- créer du contenu; mais les organisations ont du mal à suivre une approche parfaitement coordonnée répondant à une stratégie globale;
– l’«aliénation des experts en contenu» : ils travaillent comme des fous pour produire de plus en plus de contenu, souvent sans grand budget et sans reconnaissance de l’importance stratégique de leur travail pour la marque;
– la «pollution des écosystèmes de contenu» : autrement dit, une surabondance où l’originalité et la qualité ne sont pas toujours au rendez-vous.
Des solutions ? Recycler davantage les contenus de qualité, mais aussi favoriser les contenus durables, mesurer le succès du contenu par l’engagement plus que par la portée et le mesurer dans la durée plutôt qu’à court terme. «Les rédacteurs que nous sommes ne peuvent qu’approuver ces orientations, que l’auteure défend avec une approche rafraîchissante, commente Patrick Pierra. Son article a déjà recueilli, à juste titre, plusieurs dizaines de commentaires enthousiastes !»
A-t-on exagéré les avantages des articles longs ?
Plusieurs études, au cours des dernières années, ont démontré l’avantage de publier des textes longs, voire très longs (2000 mots et plus). Ces textes de fond permettent de faire le tour d’un sujet, avec profondeur et nuances, et d’apporter au lecteur une valeur d’information clairement identifiable. Cette valeur est reconnue par des partages dans les médias sociaux et par des liens entrants, qui favorisent la performance de ces articles dans les résultats de recherche. Les lecteurs en conservent aussi une impression plus positive et durable à l’égard de la marque qui leur a fourni ce contenu.
«Ces avantages, Jordan Teicher, rédacteur en chef de Contently, ne les conteste pas. Mais il nous rappelle qu’au quotidien, la majorité des gens ne prendront pas le temps de lire des articles aussi longs, relève encore Patrick Pierra. À un rythme de lecture d’environ 200 mots par minute, il faudrait 10 minutes pour lire jusqu’au bout un texte de 2000 mots !»
D’ailleurs, dans un sondage mené en décembre dernier auprès d’un millier de consommateurs américains, Contently a constaté que 75% des répondants disent préférer des articles de moins de 1000 mots. Les articles de 2000 mots et plus auraient la faveur de seulement 5% des consommateurs.
Certes, plusieurs experts en marketing de contenu contournent cet écueil en recommandant d’alterner deux longueurs de texte, aux antipodes l’une de l’autre : d’un côté, quelques textes très longs, sur des sujets soigneusement sélectionnés, exigeant un effort important de recherche et de rédaction, et optimisés pour les moteurs de recherche; de l’autre, un grand nombre de textes courts, d’environ 200 à 400 mots, qui peuvent suivre l’actualité de près et être optimisés pour le partage social.
Mais dans son article The lost art of the mid-range blog post, Jordan Teicher soutient que cette dichotomie ne permet pas de couvrir adéquatement tous les sujets. Il note aussi que la longueur d’un texte ne démontre pas sa qualité : bien souvent, son rédacteur pourrait communiquer la même information de façon plus concise. «Si ce que vous avez à dire tient bien en 600, 700 ou 800 mots, et si cette longueur peut satisfaire le lecteur, devriez-vous toujours pousser plus loin ?», questionne fort justement Patrick Pierra. Poser la question n’est-ce pas déjà y répondre ?
Ce qui distingue le journalisme de marque de l’écriture «communications marketing»
Publier un texte dans la section «blog» d’un site d’entreprise n’en fait pas pour autant un article journalistique. «Une organisation qui souhaite suivre pleinement les préceptes du marketing de contenu pour ‘devenir un média’ doit, pour réussir, intégrer des règles journalistiques -pas toutes, mais au moins celles qui s’appliquent au journalisme de marque», poursuit Patrick Pierra. Pour sa part, Chris Gillespie, fondateur de l’agence new-yorkaise Find a Way Media, rappelle quelques-unes de ces règles dans son article Crash course in brand journalism:
– écrivez pour le lecteur, adoptez son point de vue – pas celui du service du marketing ou des communications;
– citez chaque source explicitement, en la documentant par un lien. Autant que possible, remontez aux sources primaires (plutôt que de citer un article qui a cité…);
– soyez exact; prenez le temps de vérifier ce que vous écrivez: une seule erreur peut anéantir votre crédibilité;
– soyez précis, n’essayez pas de simplifier à l’extrême, au risque de perdre l’information dans des banalités que votre lecteur aura déjà lues cent fois ailleurs;
– efforcez-vous d’être objectif, même si l’information ne s’inscrit pas à 100% dans le message marketing de l’organisation: le lecteur remarquera l’effort, l’appréciera, et sera plus réceptif lorsque vous voudrez lui communiquer une offre commerciale.
Et Patrick Pierra de conclure : «L’auteur ne le dit pas mais, pour appliquer ces principes, mieux vaut sans doute faire affaire avec… un journaliste !»