La puissance de la singularité. A chacun son «moonshot» !
L’intelligence artificielle et la robotique sont en train de changer rapidement notre société. Est-ce pour le meilleur ? Ou, au contraire, pour le pire ? Eléments de réponse au dernier SAP Forum 2017
Place à la singularité. «Les robots peuvent libérer comme ils peuvent aussi, et en même temps, capturer !», avance Eleanor «Nell» Watson, ingénieur, écrivain et membre de l’équipe de la Singularity University dans la Silicon Valley.
«L’intelligence artificielle, les biotechnologies, la biochimie et de nombreuses autres technologies ont un développement exponentiel. C’est d’ailleurs ce qui les rapproche. Leurs performances doublent tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Cette progression est si rapide que les chefs d’entreprise éprouvent tant de difficultés à les intégrer tant dans leur mode de pensée que dans leurs stratégies.»
Il en va de même des questions que ces technologies suscitent. Dans le domaine de la santé, illustre Nell Watson, «le cancer et le diabète sont des maladies dites exponentielles. Aujourd’hui, la médecine traditionnelle ne fonctionne qu’en réaction, alors qu’avec la connaissance des gênes, par exemple, on pourrait la personnaliser.» De toute évidence, professe encore Nell Watson, le monde est entré en transition de manière accélérée. Il a cessé d’évoluer de manière linéaire. La réalité est devenue exponentielle. On ne peut donc plus se contenter de l’observer avec les méthodes d’antan.
«Aujourd’hui, tout ce qu’un humain peut faire de façon machinale, un robot peut le faire à un niveau surhumain. Et plus. On estime que l’IA va craquer le code du cancer avant que les scientifiques ne le fassent. Si cette prédiction s’avère être vraie, ce sera un jalon formidable pour toute personne directement ou indirectement touchée par le cancer -c’est-à-dire presque tout le monde. Mais ce pourrait être aussi la fin des emplois pour les personnes atteintes du cancer sous quelque forme que ce soit.»
Dans le monde du travail aussi, l’homme sera bientôt dépassé. Il y a peu de chose qu’une machine ne puisse pas faire mieux que nous, plus vite, et sans se plaindre. Les algorithmes «intelligents» vont «ubériser» 50% des emplois, se substituant à l’homme pour un grand nombre de tâches dangereuses, pénibles ou répétitives. Tous les métiers manuels, mais aussi ceux obéissant à une «norme», comme les professions juridiques et comptables, pour ne citer qu’elles, pourraient disparaître. Dans les usines, c’en sera bientôt fini du travail à la chaîne, même en Chine : Foxconn, le sous-traitant d’Apple, qui a déjà installé 300.000 robots, vise le million avant 2020. Même les métiers de contrôle et d’organisation du travail des machines seront bientôt remplacés par d’autres machines.
Pour le pire ? Nell Watson n’y croit pas. «La meilleure façon de prédire l’avenir, de connaître son futur, est assurément de le faire soi-même.» Il faut donc, selon la Singularity University, reprendre le pouvoir sur son devenir et pour cela suivre ses envies en tentant ses propres expériences. Il ne faut pas avoir peur de l’échec, bien au contraire. Chacun d’entre nous doit avoir son «moonshot», sa cible inatteignable. Pour Peter Diamandis, un des pères de la Singularity University, deux qualités s’avèrent indispensables pour y parvenir, celles qui nous permettent de rester optimistes et capables de réussir dans ce monde qui bouge sans cesse : la curiosité et la passion.
Et rester vigilants : «Nous pouvons et nous devons combattre à la fois l’engouement et l’inertie typiques que la technologie cause. Nous pouvons et nous devons élaborer de nouvelles règles, un nouveau cadre directeur pour chacun des domaines technologiques de rupture. La technologie n’est pas éthique. Ca n’est pas son rôle. Les technologies exponentielles ne construiront pas spontanément des règles éthiques exponentielles. A nous d’agir, d’encadrer pour favoriser plutôt que d’interdire pour supprimer.»
Le principe de la singularité
Pour certains théoriciens et futurologues, il existera dans l’avenir un moment à partir duquel l’Humanité connaîtra une croissance technologique d’un ordre supérieur, sans doute grâce à l’intelligence artificielle. Car lorsque les intelligences artificielles dépasseront les capacités du cerveau humain, elles sauront aussi construire des intelligences artificielles plus efficaces qu’elles-mêmes. L’accélération du progrès technique, observée depuis des millions d’années et jusqu’ici modélisée par des exponentielles -comme la Loi de Moore- enregistrera alors elle-même une accélération. A partir de ce moment, le progrès technique ne sera plus l’œuvre que des machines.
Ce point d’inflexion, voire d’explosion, du progrès, qui évoluera trop vite pour que le cerveau humain puisse l’appréhender, est désigné par le terme de singularité -en analogie avec la singularité gravitationnelle, région de l’espace-temps (telle que les trous noirs) au voisinage de laquelle le champ gravitationnel est trop important pour que la relativité générale parvienne à le modéliser, même s’il n’est pas infini.
Logiquement, l’être humain sera donc incapable aussi de prédire les conséquences sur la société et nos modes de vie de cette singularité technologique. Pour bon nombre des défenseurs de cette hypothèse, son avènement pourrait intervenir dans les années 2030 ou 2040. Ensuite, une nouvelle organisation succèdera à l’actuelle ère humaine.