Repenser la chaîne de valeur à l’ère du digital
Aujourd’hui, de plus en plus de géants du B2B se tournent vers l’e-commerce, privilégiant la souscription. Une façon de repenser leur chaîne de valeur.
Le monde d’aujourd’hui est un monde hyper-connecté où le parcours d’achat d’un consommateur de plus en plus exigeant est devenu aléatoire. Les géants du B2B, soucieux de repenser leur chaîne de valeur, en sont pleinement conscients… L’internaute est à présent au cœur de sa propre toile, obligeant les marques et, plus globalement, les industries à diversifier leurs points de contact avec lui, faisant tomber par la même occasion le mur qui s’établissait entre les différents circuits de vente, entre l’online et l’offline.
«Aujourd’hui, soucieux d’enrichir leur chaine de valeur, de plus en plus de géants du B2B se tournent vers l’e-commerce pour offrir leurs produits et services -le plus souvent après avoir créé de nouveaux produits ou services, privilégiant la démarche de souscription», constate Christopher Timmerman, CEO, Waeg. Si l’on en croit une étude récente effectuée par Cloudcraze, cette tendance devrait continuer de prendre de l’ampleur : 89% des décideurs affirment en effet s’attendre à ce que l’e-commerce B2B soutienne la croissance de leur entreprise dans les années à venir !
Désintermédiation
Le développement et l’implémentation des plate-formes d’e-commerce B2B s’accompagnent de multiples challenges, estime Christopher Timmerman. «Quand il se trouve dans un contexte B2B, l’utilisateur final attend la même expérience que dans un contexte B2C. Et pourtant, de nombreux éléments rendent l’environnement B2B plus complexe que celui du B2C : c’est le cas par exemple de la tarification (tarifs préférentiels, réductions…), des options de produit et livraison, ou de la facturation (numéros de références, application de la TVA…).»
Ainsi, Solvay. Pour le groupe belge, Waeg a créé en 2017 une plate-forme de commerce en ligne présentant l’assortiment de ses polymères. Si le projet a abouti à une transformation digitale touchant tous les départements de la société, le leader de la chimie mondiale est désormais capable d’offrir une expérience d’achat en ligne complètement intégrée et transparente. Et d’accélérer le rythme des ventes…
Ce type de projet pose clairement la question de la désintermédiation entre le fabricant et le consommateur, promesse du e-commerce. De fait, le circuit de distribution se voit réduit, voire totalement supprimé. «Evidemment, la réalité est loin d’être aussi simple, observe Christopher Timmerman. Le fabricant dispose généralement d’une gamme courte et homogène; il ne peut donc rivaliser avec des sites de distributeurs qui disposent de catalogues produits profonds et plus hétérogènes. Qui plus est, la vente aux particuliers ne s’improvise pas. C’est un savoir faire à part entière. Les méthodes de commercialisation, les volumétries, la logistique et le service après-vente n’ont par nature aucun rapport avec la vente aux professionnels de la distribution. Ces évidences et les adaptations qu’elles impliquent sont parfois minimisées par les fabricants…»
Circuits indirects, circuits directs
Les exemples de réinvention des circuits au détriment des distributeurs se multiplient à l’envi. La logique est à la base de certains business models à succès : de Apple Store à Häagen-Dazs, de Nespresso à Tesla. Un mouvement stratégique d’ensemble se dessine à la fois au niveau du marché B2B et du B2C. Schneider Electric, groupe spécialisée dans la gestion de l’énergie, développe par exemple une commercialisation de plus en plus directe. Sa stratégie d’efficacité énergétique -proposition d’une solution complète intégrant de nombreux services associés à l’équipement- passe obligatoirement par une présence directe auprès des installateurs, intégrateurs et clients finaux. La position de Rexel et des autres distributeurs de la filière est de facto fragilisée. Une logique identique se déploie dans de nombreuses activités B2B telles que le bâtiment, les équipements industriels et informatiques, les consommables techniques, etc.
Généralement, les industriels communiquent peu sur ces mouvements. Pour la plupart, ils avancent à tâtons. L’objectif est de préserver un mix entre circuits classiques et nouveaux circuits directs. La vague est pourtant nette, assurent les spécialistes de Waeg. Elle se nourrit d’une combinaison d’intérêts stratégiques et de la révolution digitale. Bel exemple, la CHOCOLATE ACADEMY Online, première plateforme d’e-learning dédiée aux professionnels du chocolat. Pour son promoteur, le groupe Callebaut, l’initiative s’inscrit dans un projet plus vaste de transformation digitale. «Sans remettre en question sa stratégie commerciale, basée sur un réseau de distribution traditionnel, Callebaut s’ouvre au principe de la souscription : à travers la plate-forme, le client final est en mesure d’acheter des produits Callebaut à l’unité. A l’instar d’un Netflix vis-à-vis de ses abonnés, Callebaut peut donc s’adresser au client final, ce qui va lui permettre de mieux cerner ses goûts, ses préférences et sentir les tendances», commente Christopher Timmerman.
La fin des distributeurs ?
Pour les spécialistes de Waeg, les distributeurs gardent leur raison d’être, à condition de faire évoluer et clarifier leurs propositions de valeur. La proposition aux clients finaux doit être puissante : sélection, intégration, expertise, services, disponibilité sans faille, etc. Et la proposition aux fournisseurs, tout aussi essentielle, doit se renforcer : excellence des solutions logistiques, modes innovants d’accès au marché, services incontournables d’animation et d’après-vente, etc.
La valeur devient multiforme. La distribution dispose d’une gamme croissante de business models : de la prestation de services auprès de vendeurs tiers à l’intégration en amont (présence dans les opérations de R&D ou de fabrication) en passant par l’intermédiation classique (revente de produits avec dégagement d’une marge). Une même entreprise peut déployer une multiplicité de modèles au service d’une proposition de valeur claire.
Pour Christopher Timmerman, la différence viendra de la maîtrise de la donnée entre industriels et distributeurs. Et c’est, aujourd’hui, une course de vitesse ! «L’agilité est de mise pour tous. Elle invite à dépasser cette classification historique entre industriels et distributeurs au bénéfice de l’invention de nouveaux modèles ouverts.»
Rémy Vande Wiele et Alain de Fooz