Beaucoup pensaient les constructeurs automobiles incapables de prendre le virage du numérique. Mais c’est l’utilisation d’un logiciel maison qui a précipité le premier d’entre eux, Volkswagen, dans une crise sans précédent !
«Au-delà de ses conséquences définitives – imprévisibles à ce jour-, l’affaire Volkswagen, ou #VWgate, a pourtant tout d’une crise du passé», analyse Stéphane Schultz, fondateur de 15marches, une agence de conseil en stratégie et innovation qui accompagne à la fois jeunes pousses et grands groupes. Avec ses normes absconses, ses contrôles aléatoires et ses systèmes propriétaires, le scandale VW symbolise le ‘monde d’avant’. Un monde où s’affrontent de grandes marques loin des yeux -et des besoins- du consommateur, sous le regard bienveillant des régulateurs.
«Le #VWgate en dit long également sur l’impréparation des constructeurs au ‘monde qui vient’ : un monde centré sur l’usage plutôt que la possession, où la loyauté créée sera la principale valeur pour les entreprises, estime Stéphane Schultz. Côté technologique enfin, le #VWgate n’est qu’un avant-goût de la complexité des enjeux à venir en matière de numérique et de société. Lorsque l’action des hommes va s’hybrider avec la programmation des machines, les notions de confiance, de risque et d’éthique des organisations seront totalement bouleversées. Il est urgent que les entreprises prennent conscience de ces changements en repensant totalement la manière de concevoir, produire et diffuser leurs produits. À l’ère numérique, plus personne ne peut prévoir quand et par quel bout il sera dévoré.»
Le bon vieux temps où l’on jouait aux gendarmes et aux voleurs
Les entreprises jonglent constamment avec les réglementations. Délibérément ou parce qu’elles ne peuvent tout contrôler en leur sein, chez leurs sous-traitants… Dans le cas précis de Volkswagen, la fraude est volontaire, mais la pratique n’est pas nouvelle.
Ford avait été épinglé en… 1998 pour avoir -déjà- installé une ‘stratégie de contrôle électronique sophistiquée’ sur ses vans, afin de les faire consommer moins quitte à polluer plus. «Mutatis mutandis, dix-sept ans après les logiciels sont plus élaborés, mais le jeu reste le même : il s’agit d’un calcul de probabilité entre le coût de la triche et le bénéfice espéré. L’économie directe, estimée à 300€ par moteur valait-elle les 16 milliards d’euros de pénalités que risque Volkswagen (hors plaintes de particuliers et d’associations) ?» Sans doute le constructeur ne comptait-il pas sur l’émergence de ‘lanceurs d’alerte’ comme l’ICCT, une ONG présente dans le monde entier. C’est elle, en effet, qui a découvert presque par hasard le pot-aux-roses, en faisant subir à des voitures des tests différents des ‘cycles’ habituels… et en trompant ainsi le logiciel malin.
Une bonne campagne de pub et on oublie tout ?
Un sondage réalisé par The Independant après le scandale VW révèle que 69% des personnes interrogées ne font plus confiance aux marques. 66% considèrent même qu’aucun constructeur automobile n’agit pour l’ ‘intérêt public’.
Va-t-on pour autant vers un rejet du diesel ? Un article du Figaro nous rappelle les précédents des crises alimentaires : si pour 70% des consommateurs l’affaire des plats préparés à la viande de cheval était révélatrice d’une réelle détérioration de la qualité des produits agroalimentaires […], paradoxalement les Français n’en ont pas pour autant modifié leurs habitudes alimentaires.’
De même, si la consommation de viande de bœuf a bien chuté de 30% lors de la crise de la vache folle en 2000, elle a retrouvé son niveau antérieur à peine un an plus tard. «Il est peu probable par conséquent que votre voisine vende sa Golf TDI parce qu’elle pollue plus que prévu, estime sous forme de boutade Stéphane Schultz. Peu probable aussi que les constructeurs subissent les foudres des autorités.» Selon l’adage too big to fail, aucune femme ou homme politique ne se risquera à précipiter la chute d’employeurs aussi importants que les constructeurs automobiles.
«C’est une révolte ?»
Dix jours après l’annonce de la fraude, près de 20 000 tweets utilisant le hashtag #VWGate essaimaient déjà le web, diffusant les articles, blogs et autres plaisanteries sur l’affaire.
Ce n’est pas la première crise qu’une grande marque affronte sur les réseaux sociaux -pensez à Nestlé avec Kit Kat ou Total avec l’Erika. La particularité de celle-ci est la variété des réactions : sympathisants et militants écologistes, acteurs du monde économique, intellectuels, partisans du logiciel libre…
«Si les constructeurs pensent s’en sortir en faisant pénitence à grand coup de publicité, ils sont en train de perdre une bataille bien plus importante : celle de la confiance de l’opinion publique», assure Stéphane Schultz.
Trust is new -and clean- energy
Les constructeurs ont patiemment construit l’image de la voiture moderne autour de trois grandes valeurs : le statut (‘dis-moi dans quelle voiture tu roules je te dirai qui tu es’), la sécurité (‘ne craignez rien, tout est sous contrôle’) et le plaisir de conduire (‘sensations et maîtrise de la route’). Ces trois valeurs vont être sérieusement remises en cause dans un avenir proche.
«Le scandale VW lève le voile sur une hypocrisie vieille comme une publicité pour la Coccinelle : aucun constructeur ne sait faire de moteurs ‘propres’ ayant des performances et un coût acceptables», assène Stéphe Schultz. Elon Musk, le patron de Tesla, a beau jeu de le rappeler. Selon lui, le scandale va aider le public à réaliser que la ‘voiture ‘verte’ n’existera pas tant que celle-ci utilisera une énergie fossile. En ce sens, nous dit-il, le scandale peut être positif, pas seulement pour Tesla et ses voitures électriques, mais pour l’humanité !
«Les prochains débat de la COP21 seront intéressants à ce sujet. Les autorités risquent de se retrouver dans une situation intenable face aux ONG et à l’opinion publique, résume Stéphane Schultz. Sans aller jusqu’à un scénario à la Sarbanes-Oxley, il est fort probable de nouvelles règles accélèrent la transition énergétique du secteur. Les outsiders d’aujourd’hui comme Tesla -moins de 40 000 voitures par an sur un marché de 74 millions- se retrouveront dans une position favorable, d’autant plus que la marque de Musk équipe déjà les Smart et Mercedes classe B en moteurs et batteries électriques.»