La «War for talents» n’est pas inéluctable
Il y a pénurie, c’est sûr. Mais faut-il pour autant parler de «War for talents» ? Innovons, faisons bouger les organisations et notre façon de travailler !
Impossible d’appliquer la même recette à tous les profils. Coller au plus près des attentes personnelles des collaborateurs, c’est le secret des recrutements qui aboutissent aujourd’hui. «Le salaire ne suffit plus. La reconnaissance, l’équilibre, la latitude sont devenus beaucoup plus importants que la rémunération. Les employeurs doivent revoir leurs promesses, en prenant en compte une constante : la quête de sens est aujourd’hui ce qui compte le plus pour les collaborateurs !» Telle peut être la conclusion de la table ronde menée par All Colors of Communication sur la «War for talents», une analyse à tout le moins constructive qui contraste avec l’ambiance du moment.
Laissons de côté les chiffres -alarmants- d’Agoria sur la pénurie de talents. En soi, le sujet n’est pas nouveau. Depuis cinq ans, tous les clignotants sont au rouge. Et s’il est difficile de recruter, il est plus difficile encore d’entretenir l’employabilité des collaborateurs déjà en poste. Aujourd’hui, la plupart des CIO vous disent : «J’ai cent personnes en poste; demain, je n’en aurai sans doute que cinquante… mais ce seront des profils différents !» Dilemme. Partant que nombre de nouvelles technologies tend à réduire le besoin de collaborateurs en interne, il s’agit, tout en attirant de nouveaux talents, de mettre continuellement à jour les compétences des personnes en poste pour garantir leur employabilité demain. Concrètement, cela signifie plus de formations et plus régulièrement; des formations ciblées pour répondre aux nouvelles attentes comme aux nouveaux enjeux des entreprises.
Se former oui, mais pas seulement aux technologies car, sur ce point, le niveau des nouveaux arrivants est déjà très bon. Non, pour se distinguer, il faut aujourd’hui développer d’autres talents : nous le constatons dans nos différents métiers, nous avons de plus en plus souvent à chercher des profils disposant d’une double compétence : l’informatique d’une part, mais aussi, d’autre part, la connaissance du métier-client. Pourquoi ? Tout simplement parce que la transformation digitale affecte les métiers et le business de nos clients, et qu’ils sont en recherche de personnes capables de comprendre leurs enjeux et d’y trouver les réponses technologiques adéquates. Finalement, ne cherchons-nous pas de plus en plus de personnes à même de gérer la conduite du changement, capables d’accompagner les usages des technologies et leur appropriation par des équipes ?
Ce n’est plus l’IT en tant que métier qui est recherché, mais une somme de compétences. Ce qui veut dire un savoir-être, la capacité à s’intégrer dans des équipes pour les aider à mener une transformation ou, tout simplement, à gérer un projet numérique. Voilà le réel besoin ! La formation doit se faire en mode projet, préparer réellement au travail en entreprise… et pas juste à la maîtrise des technologies comme on le laisse parfois entendre.
En attendant, l’inflation des salaires explose. Et on parle de plus en plus de bulle. Aujourd’hui, débaucher un professionnel fait songer au jeu des chaises musicales en faisant chaque fois monter les enchères… Il est urgent de réagir.
Axel Cleven
7 pistes pour sortir de la War for talents
#1 Créer un sentiment de complicité avec les candidats – C’est désormais au recruteur d’aller séduire les candidats, et plus l’inverse. «War for talents ? Sans doute. Mais j’observe surtout que la manière d’aborder les candidats est dépassée. Or, beaucoup d’entreprises recrutent encore et toujours comme il y a vingt ans», regrette Ann Buysse (Founder, The HR Marketers).
Question : comment faciliter et accélérer toutes les étapes du recrutement ? «Direction et managers doivent recruter ! N’est-ce pas eux, finalement, les meilleurs ambassadeurs de l’entreprise, questionne Mirabel Hoys (Lead Consultant HR, Attentia). Malheureusement, ils n’en sont pas conscients. Et, quand bien même le sont-ils, ils sont trop peu actifs… A les entendre, recruter c’est s’abaisser. Quel dommage !»
«Mes candidats se connaissant déjà… via le Dark Web, s’amuse Tom Decaluwé (COO, SecureLink). Dans le domaine de la cybersécurité, les talents recherchés sont plus spécifiques; ils ont leurs propres codes et sont plus discrets. C’est donc plus difficile de les identifier. Personnellement, je fais primer la passion sur le diplôme ! J’essaie toujours de créer le lien entre le profil et le job…»
#2 Redéfinir les contours de la rémunération – «Quand un candidat me parle d’emblée de salaire, c’est qu’il y a un problème, cela cache quelque chose !» La remarque de Tom Decaluwé se veut provocante. Il n’empêche : un salaire fixe ou un brut élevé n’est plus toujours synonyme de rémunération attractive. Mieux vaut valoriser le package global avec l’intéressement et la participation et intégrer tout dispositif fiscalement avantageux ou permettant de préparer l’avenir…. toutes choses que le collaborateur perdra s’il lui vient l’envie de quitter l’entreprise !
«Dans le contexte actuel, il est impératif de mettre en oeuvre des rémunérations flexibles et une politique salariale stratégique mûrement pensée, justifie Mirabel Hoys. Par ailleurs, il ne s’agit pas uniquement d’attirer de nouveaux talents, mais également de garder à bord des collaborateurs expérimentés…» Force est de reconnaître que les contours de la rémunération deviennent flous.
Les jeunes exigent plus de leur employeur, constate encore Mirabel Hoys. «D’abord, ils veulent du sens, travailler en équipe avec moins de hiérarchie, s’engager davantage sur des projets. On voit aussi qu’ils s’intéressent à la mobilité : temps de trajet, éloignement… Et puis, quand arrive la question des rémunérations, ils en parlent plus ouvertement !»
#3 Moderniser l’environnement de travail – Canapés et baby-foot se sont répandus dans les grandes entreprises sous l’influence des startuppeurs. La salle de sport privée réservée aux salariés devient un classique. Sont-ils à ce point des critères de choix décisifs pour les futurs collaborateurs ? «Les plus jeunes générations sont sensibles à l’univers des start-up. Mais l’intérêt de la mission confiée reste prédominant aux yeux des professionnels du digital, estime Carmina Coenen (Director Solutions Engineering, Salesforce).
De façon générale, les salariés souhaitent plus de reconnaissance. Qui plus est, chacun fonctionne différemment; il faut adapter sa pratique à chaque mode de reconnaissance, salaire, titre, regard des autres, reconnaissance publique. «Quiconque veut attirer des talents doit mettre en oeuvre une infrastructure qui autorise le télétravail sans que la culture de l’entreprise n’ait à en pâtir. Il est donc plus important que jamais de recourir aux applications et aux outils adéquats.»
La clé ? Culture + Technologie + Données = Implication. «Pour préserver cette implication des collaborateurs tout au long de leur carrière, les éléments suivants doivent tous être réunis : une culture d’entreprise attrayante et cohérente, les bonnes technologies permettant de traiter les collaborateurs comme votre premier client et, enfin, une utilisation judicieuse des données disponibles.»
#4 Promettre l’aventure – Attirer les talents du numérique sur le seul prestige de la marque, voilà qui ne marche pas vraiment. «Les jeunes sont plus sensibles au projet et à la valeur que l’entreprise apporte à la société, confirme Pascale Van Damme (VP & GM Dell EMC). Les grands groupes auraient plutôt intérêt à rendre plus attractif le projet qu’ils proposent à leurs futurs collaborateurs…»
Or les équipes HR ne parlent que peu, voire mal, le langage IT. Et ne peuvent donc comprendre, par exemple, l’intérêt des développeurs pour ce qui est en construction. Par nature, ces professionnels fuient face à un projet où il n’y a que de la maintenance et des bugs à corriger; ils sont aussi à la recherche d’un environnement humain, d’une équipe où le responsable saura les faire progresser. Les start-up, elles, ont bien compris les enjeux. Et de mettre en avant le projet et sa technicité, le sens du collectif sans négliger la personnalité des fondateurs. En somme, tout ce qui constitue une aventure technique et humaine !
«Hands, hands, hands ! Il faut davantage de lien, davantage d’humain dans le processus de recrutement, insiste Pascale Van Damme. Les témoignages positifs d’employés aident beaucoup dans la décision des candidats. La connexion est primordiale; jamais, je pense, elle n’a été aussi importante. Il faut apprendre à mieux connaître les personnes, à mieux partager la passion. Il faut investir dans ‘la conscience de ses biais inconscients’. La première étape est la prise de conscience de ses biais. Ils nous influencent dans tous nos rapports aux autres. Préjugés, stéréotypes, a priori, méconnaissance; notre vocabulaire est rempli de notions qui traduisent l’influence des biais sur notre perception des autres.»
#5 Former et challenger – Impossible d’appliquer la même recette à tous les profils. Coller au plus près des attentes personnelles des collaborateurs, voilà le secret des recrutements qui aboutissent aujourd’hui. «Le salaire ne suffit plus. La reconnaissance, l’équilibre, la latitude sont devenus beaucoup plus importants que la rémunération. Les employeurs doivent revoir leurs promesses, en prenant en compte une constante : la quête de sens est ce qui compte le plus pour les collaborateurs aujourd’hui, estime Alain Rasschaert (Head of Enterprise & Cybersecurity, Fujitsu). C’est pourquoi il nous semble opportun et avantageux pour toutes les parties d’offrir une formation qualitative aux demandeurs d’emploi.»
Pour Mieke De Ketelaere (Ethical AI Evangelist, SAS), il est essentiel que nous visions plus que les profils IT traditionnels -souvent masculins. «Nous devons attirer davantage de femmes vers l’IT dans la mesure où il y a là un véritable réservoir de talents. On ne dénombre actuellement que 20 à 25% de femmes. Le pourcentage chute à 15% lorsque l’on se limite à la programmation pure ! Des archétypes ainsi que des descriptifs de poste de meilleure facture peuvent jouer un rôle très important en la matière…»
#6 Accompagner au long cours les hauts potentiels – Un talent coûte deux ans de son salaire à remplacer. Le maintenir dans l’entreprise coûte 5 à 15 % au maximum de son salaire en investissement d’accompagnement. Le calcul est vite fait.
Il y a quelques années, un summer camp ou un MBA suffisait à fidéliser un talent. «Aujourd’hui, la durée des programmes destinés à retenir les hauts potentiels s’allonge énormément», constate Pascale Van Damme. Le simple fait d’offrir un tel programme permet de faire patienter un collaborateur entre le moment où il est détecté comme haut potentiel et celui où s’ouvre le poste auquel il peut prétendre.
«Chez Dell EMC, nous proposons un IDP (Individual Development Plan) pour chacun. Il arrive qu’un job soit créé pour la personne. Ce qui veut dire encore que le job description doit être flexible et doit pouvoir s’adapter au candidat et non l’inverse, complète Pascale Van Damme. Idem à propos du salaire, avec toutefois des contraintes d’uniformisation pour les grandes entreprises.»
#7 Proposer un équilibre entre vies professionnelle et personnelle – Il se dit que les grands cabinets de conseil en stratégie ont du mal à sensibiliser leurs plus jeunes candidats à devenir associé… parce qu’on ne veut plus de la vie d’un associé ! Un changement de mentalités de plus en plus pris en compte. «Les jeunes sont en quête de sens, en quête de valeur; ils réclament aussi plus d’éthique», observe Ann Buysse.
Pour faciliter la vie de leurs collaborateurs, les grandes entreprises proposent désormais des places en crèche, des services de conciergerie… «Les jeunes talents sont très sensibles au bien-être; ils sont ainsi à la recherche d’une entreprise innovante, avec de fortes valeurs éthiques et un management bienveillant laissant toute sa place à la créativité et l’autonomie.»
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